L'Encyclopédie sur la mort


Suicide d’accompagnement

 

Dans Le suicide dans la Rome antique, Yolande Grisé cite des exemples de suicides d’accompagnement: «De tous les biens dont la perte peut être une occasion de suicide, c’est la mort ou l’abandon d’un être chéri qui revient le plus souvent dans les textes anciens […]. Qu’on se rappelle les noms célèbres de Porcia*, fille de Caton* d’Utique, qui se tua pour ne pas survivre à son cher Brutus*; d’Arria* l’Ancienne qui non seulement s’associa au triste sort de son époux, Caecina Paetus, mais encore, le voyant trembler au moment de se porter le coup fatal, le précéda vaillamment dans la mort; de Pauline, la jeune épouse de Sénèque*, qui aurait imité son mari si elle n’en avait pas été empêchée par Néron. De même, ni Calpurnia, ni Servilia, ni la femme de Ligarius n’ont voulu survivre à un époux assassiné. Sous Tibère, Sextia préféra partager le sort d’Aemilius Scaurus, et Praxea celui de Pomponius Labeo. On dit que Plancina, l’épouse de Pison, se montrait prête à accompagner son mari dans la mort, n’eussent été les dispositions favorables du tribunal à son égard. Pline le Jeune* signale le cas peu commun d’une femme qui poussa son attachement pour son mari jusqu’à se lier à lui avant de se précipiter avec lui dans le lac que surplombait leur villa. Dans l’excès de sa détresse, la femme d’Arruntius, qui venait de perdre son mari et qui apprit par la suite la mort de son fils, s’enleva la vie. Après la disgrâce de Séjean, Apicata, son ex-épouse, refusa de survivre au meurtre de ses trois enfants. À l’époque de Néron, Antistia Pilita et Sextia accompagnèrent dans la mort, l’une son père, l’autre son gendre. Lors de l’incendie de Rome, en l’an 64 de notre ère, plusieurs habitants refusèrent de quitter leur maison en flammes par amour pour des proches qu’ils n’avaient pu sauver» (p. 74-75).

La mythologie grecque raconte le suicide de Héro* à la vue du corps de Léandre, jeté par les vagues sur le rivage de Sestos. Le poème de Musée présente l’union dans la mort des deux amants, séparés par l’Hellespont et contraints de vivre leurs relations amoureuses dans le secret de la nuit à cause de la résistance des lois du temple et de l’autorité parentale. Au dix-huitième siècle, le double suicide des Amants de Lyon* (1770) récolte dans l’opinion publique plus de compassion que de blâme et inspire La nouvelle Héloïse de Rousseau* dans l’élaboration de ses arguments pour et contre le suicide. Au Japon*, on approuva la mort sacrificielle (Junshi*) du serviteur à la mort de son maître ou le pacte de suicide entre guerriers (M. Pinguet, La mort volontaire au Japon, p. 75-77 et 353). En Inde, exista la coutume dite Sati* qui imposa à la veuve de rejoindre sans délai son mari dans la mort (J. Baechler, Les suicides).

Des archéologues ont découvert, dans les sépultures de grands personnages de l’Égypte ancienne, des restes de proches du défunt royal qui l’avaient suivi dans la mort. Cette découverte atteste de l’existence, dès la fin de l’époque prédynastique et au temps de la première dynastie, de rites funéraires où il y a des mises à mort d’hommes (massacres d’ennemis et de prisonniers) ou d’animaux en tant que «boucs émissaires» et des morts «volontaires» motivées par le service du souverain dans l’au-delà. Ces dernières peuvent-elles être interprétées comme des sacrifices* humains? Selon Alain Testart, «il n’y a pas de sacrifice qui ne soit offert, en principe, à une puissance surnaturelle. Il y faut un tiers, en plus du sacrifiant et du sacrifié. Tout sacrifice suppose une translation, celle qui fait passer le sacrifié des mains du sacrifiant vers le destinataire du sacrifice.» S’appuyant sur cette définition étroitement religieuse du sacrifice humain, Testart refuse au suicide d’accompagnement le caractère sacrificiel (La servitude volontaire, vol. I, Les morts d’accompagnement, vol. II, L’origine de l’État, Paris, Errance, 2004). Selon une définition plus élargie du sacrifice humain, on peut considérer comme sacrificielle toute pratique rituelle qui accomplit la mort d’êtres vivants en l’honneur du personnage royal décédé, a fortiori la mort volontaire d’un proche qui donne sa vie pour servir son maître. Cependant, ce geste ne trouve pas nécessairement ni uniquement sa source dans des motivations religieuses, éthiques ou affectives. Une lecture politique du sacrifice humain et du suicide mettra en évidence le lien entre, d’une part, la mort d’hommes et de femmes dans les rites funéraires et, d’autre part, le pouvoir royal ou le pouvoir de l’État. En effet, l’affirmation d’un pouvoir sur la vie d’autres hommes ne se manifeste jamais aussi clairement que dans leur mise à mort. L’abandon de la pratique des suicides d’accompagnement ne se fonde pas sur des raisons d’éthique, mais sur l’évolution des mécanismes de l’État qui est en mesure d’imposer d’autres pratiques de soumission pour consolider son pouvoir (Le sacrifice humain en Égypte ancienne et ailleurs, textes réunis et présentés par J.-P. Albert et B. Midant-Reynes, Paris, Soleb, 2005).

Dans la littérature contemporaine, Sylvie Germain nous livre une page émouvante sur le suicide d’une mère juive qui accompagne son fils, mort d’une fièvre violente durant une épidémie de typhus sur le bateau qui les amène tous deux, parmi d’autres réfugiés, à New York afin de refaire leur vie en Amérique. La mère «était arrivée sur le pont supérieur au moment où l’on précipitait le corps de Mordéchaï à la mer. Non! avait-elle crié, vous ne donnerez pas [la? — vérifier citation] lumière de mon âme en pâture à Léviathan! Et, se hissant par-dessus bord, elle s’était jetée dans les vagues à la rescousse de son fils pour affronter le grand monstre marin après avoir défié le dibbouk puis la perfide Lilith. Et les vagues l’avaient aussitôt engloutie» (Tobie des marais, Paris, Gallimard, 1998, p. 46).

Liens

Natalia Fernandez Diaz
Encyclopédie sur la mort

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Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-18

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