C'est Jacques Le Goff qui a écrit un livre magistral sur l'invention et le développement de l'imaginaire du purgatoire. Que les visiteurs se laissent guider par la recension, très élaborée de Jacqueline Guiral pour décrire l'oeuvre de J. Le Goff, La Naissance du purgatoire, Paris, Gaillimard, 1981, 509 pages et publiée dans Archives de sciences sociales des religions, 1983, volume 53, p. 318-319.
Ancêtres du purgatoire
« Dans la première partie de son livre, Jacques Le Goff retrace la genèse de l'idée d'un troisième lieu, ancêtre du purgatoire, dont se font écho les imaginaires antiques, des Indes à l'Iran, en évoquant les descentes aux Enfers gréco-romaines et le shéol juif. Peu à peu la notion d'un lieu de "rafraîchissement, le refrigerium" apparaît. Mais parmi ceux que l'auteur appelle les Pères du Purgatoire, se détache Saint Augustin*, qui insiste sur l'importance des suffrages des vivants pour les morts, dans la prière qu'il écrivit dans ses Confessions, pour sa mère Monique.
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Amorce de la croyance dans l'existence du purgatoire
La grande époque du Purgatoire s'amorce au XII° siècle, alors que Saint Bernard affirme l'existence du feu purgatoire et l'efficacité des suffrages pour les morts, le milieu intellectuelle parisien, l'école du chapitre Notre-Dame, la rive gauche où le renouveau intellectuel avait été le fait des abbayes de Saint-Victor et de Sainte-Geneviève, participent à la mise au point de la croyance au Purgatoire.
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L'imaginaire géographique du purgatoire : entre le ciel et l'enfer
L'élaboration de la notion de purgatoire comme lieu intermédiaire s'accompagne d'une tentative de localisation géographique, dont on suit les tâtonnements à la lumière des voyages imaginaires dans l'au-delà, de récits d'apparitions de défunts à vivants, regroupés d'une manière très suggestive par l'auteur. Il accorde une attention particulière au rôle de l'imaginaire monastique entre 1180 et 1215, dans la genèse de la géographie du purgatoire de Saint Patrick sous la conduite du chevalier Owen, ou le récit de l'Anglais de Tilbury qui le situe en Sicile, où l'on retrouve la légendre arthurienne de tradition celtique.
Une justice comptable
Pendant cette période, J. Le G. montre que la réflexion des vivants sur l'au-delà semble davantage animée par le besoin de justice que par le salut. La durée de la peine à accomplir dépend des mérites personnels du défunt, acquis pendant sa vie et des suffrages de l'Église suscités par ses parents et ses amis.
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Avec le purgatoire apparaît un enfer à temps, la comptabilité de l'au-delà se développe au XIII° siècle, elle va déboucher sur ce que J. Le G. appelle "le temps vertigineux des indulgences"; l'idée de proportionnalité des peines est liée aussi au développement des mathématiques et de l'arithmétique.
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Le triomphe dogmatique du purgatoire
L'essentiel de la réflexion théologique latine sur le purgatoire est achevé en 1274 et consacré par le deuxième concile de Lyon. Néanmoins ce triomphe est mitigé, car dans d'importantes zones de la chrétienté, cette nouvelle notion se heurte au refus des Grecs et à l'hostilité des "hérétiques". Une certaine méfiance des intellectuels à l'égard de cette nouveauté traduit leur peur face à un au-delà, proche de la culture folkorique et de la sensibilité populaire, qui les conduit à rationaliser, à baliser et à contrôler le purgatoire.
Les négociations entre membres des hiérarchies ecclésiastiques latines et grecques conduisent l'Église latine à exprimer ses premières formulations dogmatiques. Au XIII° siècle, la théorie est venue couronner la pratique des décennies antérieures. La croyance au purgatoire est proclamée comme dogme en 1274, puis en 1438-1439, au concile de Ferrare Florence, puis à Trente en 1563.
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Le triomphe poétique du purgatoire
Le triomphe poétique s'accomplit à travers la Divine Comédie de Dante*, son niveau est celui de la terre, sous le ciel étoilé, le purgatoire est une montagne qui se dresse dans l'hémisphère Sud, formée de sept cercles ou corniches étagées. Oy purge les sept péchés capitaux, en attendant d'atteindre le sommet où se trouve le paradis. La purgation sur la montagne se fait de trois façons : par la punition matérielle, par la méditation sur le péché, par la prière.
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Le triomphe mystique du purgatoire
Avec Gertrude la Grande, morte en 1301, puis avec Catherine de Gênes, le Purgatoire entre dans la sphère de la mystique la plus élaborée. La doctrine du purgatoire va poursuivre sa carrière jusqu'au XIX° siècle où les choix semblent se rétrécir à nouveau entre des paradis et des enfers, débouchant sur les réalités imaginaires de l'apocalypse nucléaire.
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État des lieux contemporains
Ni hier ni aujourd'hui, l' église Orthodoxe et après elle, les églises chrétiennes issues de la réforme (luthérienne, calviniste), ainsi que les églises évangéliques n'ont admis l'existence du purgatoire à cause de l'absence de ce lieu dans la Bible. La théologie catholique contemporaine semble avoir elle aussi renoncé au purgatoire comme un lieu intermédiaire entre le ciel et l'enfer.Dans son encyclique Spes Salvi, Benoît XV mentionne discrète le purgatoire non pas comme un lieu mais comme un processus de purification des âmes dans leur cheminement vers la béatitude éternelle :
« Dans le judaïsme ancien, il existe aussi l’idée qu’on peut venir en aide aux défunts dans leur condition intermédiaire par la prière (cf. par exemple 2 M 12, 38-45 : 1er s. av. JC). La pratique correspondante a été adoptée très spontanément par les chrétiens et elle est commune à l’Église orientale et occidentale. L’Orient ignore la souffrance purificatrice et expiatoire des âmes dans « l’au-delà », mais connaît, de fait, divers degrés de béatitude ou aussi de souffrance dans la condition intermédiaire. Cependant, grâce à l’Eucharistie, à la prière et à l’aumône, « repos et fraîcheur » peuvent être donnés aux âmes des défunts. Que l’amour puisse parvenir jusqu’à l’au-delà, que soit possible un mutuel donner et recevoir, dans lequel les uns et les autres demeurent unis par des liens d’affection au-delà des limites de la mort – cela a été une conviction fondamentale de la chrétienté à travers tous les siècles et reste aussi aujourd’hui une expérience réconfortante. »