Poète et romancier né à Port-au-Prince en Haïti, le 25 août 1928, Anthony Phelps fit des études élémentaires et secondaires à l'institution Saint-Louis-de-Gonzague. Entre 1950 et 1953, il séjourna aux États-Unis et au Canada où il étudia la chimie, la céramique et la photographie. De retour en Haïti, il fonda en 1960, avec l'aide de quelques amis, le groupe Haïti Littéraire. Il fut également co-fondateur de la revue Semences (1961) et de la station Radio Cacique (1961), où il réalisa des émissions hebdomadaires de poésie et de théâtre. Il mit également sur pied et anima le groupe de comédiens "Prisme". Après un bref séjour dans les prisons de Duvalier, il est forcé de quitter le pays et s'établit à Montréal, en mai 1964. Il fit du théâtre et se fit engager comme journaliste à Radio-Canada en 1966. Il fonda une entreprise spécialisée dans l'édition de poésie sur disques. En 1985, après vingt ans de service à la salle des nouvelles TV de Radio Canada, il prend une retraite anticipée pour se consacrer entièrement à l'écriture.
Sources:
Saint-John Kauss http://www.potomitan.info/kauss/phelps.php
Site Île-en-Île.http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/phelps.html
Anthony Phelps s'exprime lui-même sur la situation en Haïti avant son départ et sur sa vie en exil :
« La cadence des départs allait s’accentuer et nombre de peintres, poètes, acteurs, dramaturges, musiciens, historiens, sociologues, professeurs, penseurs, allaient être rejetés du pays par la violence de l’obscurantisme, et de la terreur. Et ce sera l’exil, le long exil durant lequel la littérature haïtienne allait s’épanouir sous d’autres cieux, à l’intérieur d’autres cultures, s’enrichir d’autres rythmes, d’autres thèmes.
Des mots nouveaux, des images insolites, vont insidieusement et inéluctablement, investir le vocabulaire initial, en renouveler parfois le contenu. Soleil devient plus souvent : neige, verglas, flocon, glace. Mer n’est plus que lac ou étang et pas du tout d’eau salée ou saumâtre. Palmiste royal et cocotier se ratatinent épinette ou sapin. Les fruits changent subrepticement de forme, l’herbe de blondeur. Imperceptiblement les goûts, arômes, consistance, se modifient. La force créatrice en nous allait se manifester ailleurs, dans des milieux étrangers à notre culture. Fort heureusement, elle s’est excellemment bien épanouie, chez la plupart de nos créateurs littéraires. Ceux qui ont voulu freiner l’évolution de notre pays, en éliminant systématiquement ses institutions, ont pratiquement réussi dans leur œuvre de dégradation économique et sociale. Ceux qui ont cru pouvoir annihiler notre force créatrice, l’étouffer de leur arrogante ignorance, en ont été pour leurs frais. Notre culture est bien vivante.
Aujourd’hui, Roland Morisseau n’est plus. René Philoctète l’a rejoint. Davertige a lui aussi franchi le pas. Legagneur et moi sommes toujours à Montréal. Chacun dans son lieu de studieuse quotidienneté. Personnellement, j’essaie de maintenir ma présence au pays natal, par des séjours ponctuels, par des livres et des disques, car je continue à publier. Que me reste-t-il d’autre que ce geste, combien fraternel, de lente, longue patience, qu’est l’écriture ? »
Source: « Haïti Littéraire : Nouvel espace poétique. Exemplaire fraternité », Parlécrit, bulletin des Écrivains francophones d'Amérique (ÉFA), n° 37, p, 11-17.
Voici quelques extraits de l'hommage d'Émile Ollivier à Anthony Phelps:
« Pour prendre conscience de la valeur d'une oeuvre, dit-on souvent, il faudrait imaginer un instant qu'elle n'existe pas. Que se serait-il passé dans la poésie haïtienne si Anthony Phelps n'avait pas écrit et publié? En quoi consiste la contribution d'Anthony Phelps à la littérature? Que se serait-il passé dans la vie de quelques écrivains de cette époque s'ils n'avaient rencontré cet homme qui, aujourd'hui, vivant loin des sirènes de la vaine gloire, mais sans retrait hautain, a produit l'une des oeuvres les plus connues, les plus populaires de la littérature haïtienne?
Depuis 1960, année où parut son premier recueil, Été, Anthony Phelps a écrit une douzaine de recueils de poésie dont le célèbre Mon pays que voici, trois romans, une quinzaine de pièces radiophoniques, des contes pour enfant, réalisé des vidéos. [...]
Mais, livres, vidéos et disques ne représentent que la partie visible de son oeuvre et les dénombrer ne saurait suffire pour faire l'éloge de Anthony Phelps car, cela ne rendrait pas honneur à l'homme et à son talent de rassembleur. Cela ne parlerait pas de sa civilité, de son respect des autres et surtout de son souci civique. Prudent, mais pas de la prudence qui aménage des chausse-trappes. Il n'est pas de ceux qui vous voient venir et vous donnent ce qu'il croit que vous attendez d'eux. Pas de salamalecs. La poignée de main broie la distance. Complexe comme tous les êtres humains, il est à la fois ancré et aérien avec, dans le regard, quelque chose de céleste, un regard que traverse parfois des lueurs de malice. Anthony Phelps, c'est la chaleur de l'amitié. Je me souviens des riches soirées chez lui, au tout début de l'exil et du désarroi, quand Hélène Valiquette, «sa compagne de haute lice», nous accueillait avec une hospitalité sans fausse note et aménageait des passerelles entre les intellectuels québécois et nous. Anthony avait déjà séjourné à Montréal, et avait rapporté à son retour en Haïti, dans ses bagages, quelques textes, des romans dont le fameux Agaguk de Yves Thériault et des recueils, oeuvres de poètes exemplaires de la Modernité littéraire québécoise.
[...]
Anthony Phelps ne pratique pas la poésie comme un instrument d'auto-contemplation de soi, dans une langue intelligible seulement à quelques initiés. Tout en creusant un écart avec la langue commune, la poésie de Phelps demeure intelligible. Le poète parle, on l'écoute, on l'entend. La langue est intelligible, sans facilité. Phelps se méfie d'une certaine transparence de la langue qui porterait à croire à une égale transparence de la réalité. De là des vers qui énoncent l'opacité, le mystère, la violence et la folie d'une Haïti tragique au point qu'il «est venu le temps de se parler par signes»; de là des vers qui ramassent le sens sous des «éclats de silence». Loin de lui de faire joli, ornement ou breloque, la langue, chez Phelps, est ce qui rend la maison des êtres humains encore habitable. Des textes comme Mon pays que voici, La bélière caraïbe ou des romans comme Moins l'infini ou Mémoire en colin-maillard sont des traces précieuses d'une expérience humaine pleine, riche, où tout lecteur, vivant sous quelque latitude que ce soit, peut se retrouver et se reconnaître. Au moment de clore cet hommage, si j'avais un souhait à faire, c'est que dans le chaos tonitruant du désordre actuel, on continue à entendre le souffle de cette présence considérable, la musique d'Anthony Phelps. »
Source: Émile Ollivier, «Hommage à Anthony Phelps», UQAM, 2001
http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/ollivier_phelps.html