Nicolas Poussin, Paysage avec un homme tué par un serpent, galatea.univ-tlse2.fr
Jackie Pigeaud dans De la mélancolie. Fragments de poétique et d'histoire, chap. II, «La peur en ce tableau» (Paris, Éditions Dilecta, 2005) donne des extraits des descriptions du tableau de Nicolas Poussin, dit parfois aussi «Les effets de la terreur», faites par divers auteurs: Diderot*, Félibien (Vie des plus excellents peintres), Fénelon(Dialogues des morts). Elle réfère à Louis Marin, qui consacre un article à la description de Fénelon (Sublime Poussin, Paris, Seuil, 1995, p. 35-70), ainsi qu'à Oskar Bätschmann, Poussin. Dialectiques de la peinture, Paris, Flammarion, 1994. Nous nous limiterons ici à la description de Diderot, présentée par J. Pigeaud.
Un drame se passe; il y a de l'agitation. C'est d'abord ce qui attire le regard. On est rapidement entraîné vers le haut. La paix, le jeu des jours ordinaires. Non, ce n'est pas la raison du tumulte. Il n'y a, là-haut, rien à craindre. Est-ce si vrai? Naissant de ce lieu glauque, au premier plan, mais dans l'ombre, l'horreur qui monte. Lui qui fuit, va être messager. Il va décrire l'horreur. Il va peut-être se calmer, se reprendre, au récit qu'il va faire forcément à la femme étonnée. Peut-être redescendront-ils, la femme et lui? Peut-être au contraire fuiront-ils, repris de terreur panique? Quant à ceux du haut, sans doute, seront-ils intéressés au récit. Car quelque chose se passe qui les intéresse - ils ne le savent pas encore -, directement, comme individus peut-être, comme êtres humains certainement. Mais consentiront-ils à descendre pour voir, constater, témoigner? J'en doute. De toutes manières, l'on ne saurait vraiment évacuer le pathos de ce tableau.
«Les plus exposés au péril, écrit Diderot, ce sont ceux qui en sont les plus éloignés. Ils ne s'en doutent pas. Ils sont tranquilles. Ils sont heureux. Ils s'entretiennent de leur voyage. Hélas, parmi eux, il y a peut-être un époux que sa femme attend avec impatience et qu'elle ne reverra plus; un fils unique que sa mère a perdu de vue depuis longtemps et dont elle soupire en vain le retour... Et le monstre terrible, qui veille dans la contrée perfide dont le charme les a invités au repos, va peut-être tromper toutes ces espérances. On est tenté, à l'aspect de cette scène, de crier à cet homme qui se lève d'inquiétude: fuis; à cette femme qui lave son linge: quittez votre linge; fuyez. À ces voyageurs qui se reposent: que faites-vous là? Fuyez, mes amis [...].»
De ce point de vue, si l'on en croit Diderot, les hommes essentiellement concernés sont ceux «du haut»; qui ne sont pas encore prévenus; qui vivent leur vie ordinaire dans un monde organisé et organisable; dans un univers où l'on a oublié que le jardin cache de la nature sauvage. Le choc, c'est l'homme en fuite qui l'a reçu; le chemin qui monte vers «ceux d'en haut» atténue forcément le trauma et va le transformer en récit. C'est pour «ceux d'en haut», la voie de la katharsis [...].
J. Pigeaud trouve flagrant, dans le tableau, le rapprochement entre le chemin parcouru par le messager et la voie de la katharsis. La représentation (sous la forme du récit ou de la tragédie) opère une purgation des passions, ici en l'occurence, la peur de la mort. «La crainte, pour Aristote*, c'est fondamentalement la crainte de la mort (Éthique à Eudème, 1228b 39); non pas la peur abstraite de la mort promise à tout homme, mais celle toute proche, imminente (Rhétorique, II, 1382a 23).
Source: Diderot, Ruines et paysages, Salon de 1767, Collection Savoir: Lettres, Salons III, Paris, Hermann, 1995, p. 399.
Consulter: http://agora.qc.ca/reftext.nsf/Documents/Nicolas_Poussin--Dialogue_des_morts__Leonard_de_Vinci_et_Poussin_par_Fenelon
© tous droits réservés