Le récit
L'enlèvement de Perséphone (Proserpine) par Hadès (Pluton) a été l'objet d'un grand nombre d'oeuvres littéraires et artistiques. Dans sa Mythologie des Grecs, philologue hongrois et historien des religions, Karl Kerényi (1897-1973), nous donne une version du récit:
«La jeune fille s'ébattait avec les filles d'Océan en cueillant des fleurs: des roses et des crocus, des violettes, des iris et des jacinthes sur la grasse prairie. Elle s'apprêtait à cueillir aussi le narcisse, un radieux prodige, que la déesse Gaïa avait fait croître là pour complaire au dieu des Enfers afin de séduire par cette ruse la jeune fille au visage de fleur à peine éclose. Cent fleurs jaillissaient du pied de narcisse, répandant un suave parfum, réjouissant le ciel et la terre et les flots salés de la mer. La jeune fille émerveillée tendit les deux mains vers une seule d'entre elles, comme vers un jouet, vers un trésor. La terre se fendit, un abîme se fendit sur les champs nysséens d'où surgit, avec ses cavales immortelles, le maître des Enfers, fils de Cronos, le dieu au noms multiples. il soulevait jusqu'à son char d'or la jeune fille qui se débattait et l'enleva malgré ses lamentations. Elle lança des appels stridents vers le père, fils de Cronos, maître suprême. Dieu ni homme n'entendirent sa voix; nul olivier ne bougea. [...] La maîtresse, sa mère, l'entendit. Un poignant chagrin étreignit son coeur; elle dégrafa la parure de sa tête, sa chevelure immortelle, la laissa tomber sur ses épaules en noir manteau, et partit comme un oiseau survolant les eaux et la terre en quête de sa fille.»(1966, p. 183)
Voici des extraits de quelques récits anciens:
Le mythe grec
1. Hadès tomba amoureux de Perséphone, et, avec la complicité de Zeus, il l'enleva en secret. Mais sa mère, Déméter, des flambeaux à la main, la chercha nuit et jour, errant par la terre entière, jusqu'au moment où elle apprit, par des habitants d'Hermion, qu'Hadès l'avait enlevée. Alors, pleine de colère à l'égards de tous les dieux, elle abandonna le ciel, se vêtit comme une femme ordinaire et se rendit à Éleusis. À peine arrivée, elle s'assit sur cette pierre qui fut ensuite appelée «Sans sourire» - précisément en souvenir de son histoire -, non loin du puits de Callichoros. Puis elle se rendit chez Céléos qui était alors roi d'Éleusis. Il y avait de nombreuses femmes dans son palais. Elles l'invitèrent à prendre place parmi elles, et une vieille, qui s'appelait Iambé, réussit, avec ses plaisanteries, à faire sourire la déesse. C'est là l'origine, dit-on, de toutes les farces irrévérencieuses des femmes lors de la fête des Thesmophories.
Métanire, l'épouse de Céléos, avait un enfant, et elle le confia à Déméter pour qu'elle l'élève. La déesse voulait le rendre immortel. Aussi, de nuit, elle le jetait dans le feu, pour le dépouiller de son enveloppe mortelle. Le jour, ensuite, Démophon, - ainsi s'appelait l'enfant - grandissait de façon prodigieuse : mais Métanire épia toute la scène ; elle vit que l'enfant brûlait dans les flammes et elle se mit à crier. Ainsi Démophon fut consumé par le feu, et la déesse se fit connaître.
2. Et à Triptolème, le fils aîné de Métanire, elle fit don d'un char guidé par des dragons ailés, et elle lui confia le blé, afin que, du haut du ciel, il le répande sur toute la terre habitée. Panyasis soutient que Triptolème était le fils d'Éleusis, et que c'est justement chez ce dernier que la déesse avait logé. Phérécyde, pour sa part, déclare qu'il était le fils d'Océan et de Gaia.
3. Zeus ordonna à Hadès de renvoyer Coré [Perséhone] sur la terre. Mais Hadès, pour que la jeune fille ne reste pas trop longtemps auprès de sa mère, lui fit manger un grain de grenade. Coré, qui en ignorait les conséquences, l'avala. Ascalaphe, le fils d'Achéron et de Gorgyra, la vit, et joua les délateurs : et Déméter jeta sur lui un lourd rocher, là, aux Enfers. Mais dès lors Perséphone dut demeurer avec Hadès un tiers de l'année, et le reste, elle put le passer auprès des autres dieux.
Source: Apollodore, Livre I, 5, 1-3, Déméter, Perséphone, Triptolème..., Ugo Bratelli, 2001
http://ugo.bratelli.free.fr/Apollodore/Livre1/I_5_1-3.htm
Mythe romain
[385] Non loin des murs d'Henna est un lac profond qu'on appelle Pergus. Jamais le Caÿstre ne vit autant de cygnes sur ses bords. Des arbres à l'épais feuillage couronnent le lac d'un berceau de verdure impénétrable aux rayons du soleil. La terre que baigne cette onde paisible est émaillée de fleurs. Là règnent, avec les Zéphyrs, l'ombre, la fraîcheur, un printemps éternel; là, dans un bocage, jouait Proserpine. Elle allait, dans la joie ingénue de son sexe et de son âge, cueillant la violette ou le lis, en parant son sein, en remplissant dés corbeilles, en disputant à ses compagnes à qui rassemblerait les fleurs les plus belles.
Pluton l'aperçoit et s'enflamme. La voir, l'aimer, et l'enlever, n'est pour lui qu'un moment. La jeune déesse, dans son trouble et dans son effroi, appelle en gémissant sa mère, ses compagnes, et sa mère surtout. Sa moisson de lis s'échappe de sa robe déchirée. Ô candeur de son âge ! dans ce moment terrible la perte de ses fleurs excite encore ses regrets.
[402] Cependant le ravisseur hâte ses coursiers; il les excite et les nomme tour à tour. Il agite sur leur cou, sur leur longue crinière les rênes et le frein que rouille et noircit leur écume. Il traverse les lacs profonds, les étangs des Palices, dont les eaux bouillantes s'imprègnent du soufre qui sort de la terre ardente; et les champs où les Bacchiades, qui de l'île de Corinthe abordèrent en Sicile, bâtirent Syracuse entre deux ports d'inégale grandeur.
[438] Cependant, alarmée du sort de sa fille, Cérès la cherche en vain. Elle erre par toute la terre et sur toutes les mers, soit que l'Aurore, aux cheveux brillants de rosée, paraisse à l'orient, soit que Vesper ramène de l'occident le silence et les ombres. Elle allume aux feux de l'Etna deux flambeaux de sapin dont la lumière guide ses pas empressés dans les froides ténèbres de la nuit : et dès que le soleil a fait pâlir les étoiles, elle demande sa fille, et jusqu'au retour du soir la redemande encore.
[487] Cependant Aréthuse élève sa tête au-dessus de ses ondes. Elle écarte de la main les cheveux humides qui couvraient, son visage, et s'écrie : "Mère des fruits de la terre, mère de Proserpine, que vous avez cherchée dans tout l'univers, suspendez vos vengeances cruelles : cessez de ravager une contrée qui n'a point mérité votre courroux. [...] En traversant ces routes obscures et voisines, des gouffres du Styx, j'ai vu Proserpine. La tristesse et l'effroi sont encore empreints sur son visage; mais elle règne dans l'empire des ombres, mais elle est la puissante épouse du roi des Enfers."
[509] À ce discours, la déesse étonnée, pareille au marbre que travailla le ciseau, reste sans mouvement. Le dépit et la colère succèdent enfin à son égarement. Elle monte sur son char, qui l'emporte au céleste séjour, et s'arrêtant devant Jupiter, le visage baigné de larmes, les cheveux épars : "Souverain des dieux, dit-elle, je viens t'implorer pour mon sang et pour le tien. Si tu n'as point pitié d'une mère, que du moins ma fille puisse toucher le cœur de son père. Ne la punis point de me devoir le jour. Je la retrouve enfin cette fille que j'ai si longtemps cherchée, si pourtant c'est la retrouver que d'être plus certaine de l'avoir perdue ! si c'est la retrouver que de savoir où elle est ! Je puis pardonner à Pluton, pourvu qu'il me la rende. Ta fille, car, hélas ! elle n'est plus à moi; ta fille ne peut être la proie d'un ravisseur".
[523] Jupiter lui répond :" Proserpine est le gage de notre amour, et l'objet commun de nos soins les plus chers. Mais, s'il faut donner aux choses leur véritable nom, l'action de Pluton est, non pas un outrage, mais un excès d'amour. Si vous consentez à son hymen, un gendre tel que lui ne saurait nous faire rougir. Sans parler de ses autres avantages, n'est-ce pas assez pour lui d'être frère de Jupiter ? Mais que lui manque-t-il ? il ne le cède qu'à moi; et ma puissance absolue, je ne la dois qu'au sort. Si cependant vous persistez à vouloir arracher votre fille de ses bras, elle peut encore vous être rendue, pourvu qu'elle n'ait goûté à aucun fruit dans les Enfers. Tel est l'arrêt des Parques inflexibles."
Source: Ovide, Les Métamorphoses, V, traduction (légèrement adaptée) de G.T. Villenave, Paris, 1806.
http://bcs.fltr.ucl.ac.be/META/05.htm
De raptu Proserpinae par Claudien (Du rapt de Proserpine)
Claudien (Claudius, Claudianus), poète latin 4° siècle après J.-C., né en Alexandrie. On trouve le texte dans Lucian, Silius Italicus, Claudien - oeuvres complètes, traduction française publiée sous la direction de M. NISARD. Paris, Dubochet, 1837.
Itinera Electronica
http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/claudien_proserpine/lecture/default.htm)
Iconographie
«Enlèvement de Proserpine» d'après Bernini (1621- 1622), Galleria Borghese, Rome.
«Proserpine» de Tarente (les Pouilles, Italie)
«Enlèvement de Proserpine» d'après Alessandro Allori (1570) The J. Paul Getty Trust, Los Angeles
Pierre Paul . Rubens, «L'Enlèvement de Proserpine» (vers 1614-1615)
Huile sur bois. Cette esquisse pour un grand tableau autrefois en Angleterre, dans les collections du duc de Malborough au château de Blenheim et détruit dans l’incendie qui ravage une aile de ce château en 1861, représente l’enlèvement de Proserpine.
Nicolo dell'Abate, «L'enlèvement de Proserpine», peinture à l'huile sur toile, vers 1560, Musée du Louvre.
Rembrandt, «Enlèvement de Proserpine», 1632, Berlin, Gemäldegalerie.
Stanisław Nowak, «L'enlèvement de Proserpine», fontaine de la ville de Poznań en Pologne (image en haut de la page).