Michel Onfray, né le 1° janvier 1959, docteur en philosophie a enseigné dans les classes terminales d’un lycée technique de Caen de 1983 à 2002 avant de créer une Université Populaire à Caen en octobre 2002, puis une Université Populaire du goût à Argentan en 2006. Biographie et bibliographie, consulter: pagesperso-orange.fr/michel.onfray/accueilonfray.htm
Présentation de Féeries anatomiques, Généalogie du corps faustien, par son éditeur:
Depuis que Michel Onfray a entrepris de bâtir son système philosophique matérialiste et hédoniste, il a rencontré, en chemin, l'esthétique (La sculpture de soi), la politique (Politique du rebelle), la morale (L'art de jouir) - et il se devait, pour parfaire l'édifice, d'en découdre avec cette démiurgie des temps modernes qu'est la biologie. Ce nouvel essai y est consacré. Et il résume l'ensemble de son oeuvre puisque, dans la biologie, se croisent la matière, le plaisir, la mort, la technique et le néant.
Clonage, reproduction médicalement assistée, bébés-éprouvettes, eugénisme, manipulations génétiques, sont, chaque jour, à la une de nos débats. C'est en hédoniste, en matérialiste épicurien, que Michel Onfray promène son regard, sa science, sur l'embryon ou le génome. C'est en "vitaliste" déterminé, en champion d'une "poétique du vivant", qu'il fait l'éloge de l'artifice contre la nature, de la liberté contre la théologie, de l'immanence contre la transcendance. Cette thèse - qui prend à revers toutes les recommandations des «comités d'éthique» - fera débat et scandale. De «l'arrêt Perruche» (sur les droits du foetus) à la défense et illustration d'une «écologie technophile» (OGM, etc...), ces Féeries anatomiques renouvellent de façon radicale les polémiques habituelles sur le destin de nos pulsions faustiennes. (Éditions Grasset)
Voici un extrait de Féeries anatomiques, Généalogie du corps faustien où il critique la pratique des soins palliatifs et présente des raisons en faveur de l'euthanasie :
Que les thuriféraires des soins palliatifs* affirment : le bénéfice de l’agonie dans l’enrichissement qui les humanise, eux, les survivants; la réalité d’un bénéfice mutuel à l’accompagnement*, l’utilité du mourant qui sert encore un peu avant de passer ad patres, en l’occurrence à réaliser le salut de ceux qui s’en servent et les exploitent, les instrumentalisent, les utilisent et volent la mort des agonisants, voilà autant de preuves d’une avance masquée des défenseurs de ces thèses malsaines.
Ils dissimulent une option partisane et néo-chrétienne, militent pour une cause personnelle et non générale. En un mot : les soins palliatifs défendent une logique de soignants soucieux de leur salut plutôt qu’une logique de soignés motivée par le respect de la volonté, de la dignité, de la souveraineté, de la liberté et de l’autonomie du malade. L’euthanasie permet d’avancer sur le terrain de la déchristianisation du corps et des institutions qui s’en occupent, puis de progresser dans la construction d’un corps faustien.
De la même manière que les palliatifs récusent la demande euthanasique sous prétexte qu’elle cache autre chose – un besoin inconscient de vie et d’amour -, ils réduisent la mort douce à des arguments triviaux. L’accusation de nazisme, on l’a déjà vu, sert à éviter de penser et de réfléchir sur cette question… A quoi l’on ajoute, sur le même principe – paralogismes, rhétoriques spécieuses et déni – une série de causes triviales pour s’y opposer : on euthanasie à cause du manque de lits; pour le confort des familles; afin d’en finir avec un patient récalcitrant; parce que les médecins ne savent pas affronter la mort; à cause de leur couardise ou de leur incompétence à accompagner. Vénalité, cruauté, méchanceté, incapacité, lâcheté, uniquement de mauvaises raisons…
Autre logique spécieuse : la législation de l’euthanasie entraînerait une débauche de pratiques sauvages. On imagine mal comment un encadrement juridique digne de ce nom, une législation ad hoc extrêmement précise, rigoureuse et respectueuse des droits du malade, un protocole défini dans la clarté et qui suppose transparence et collégialité des prises de décision devenues accessibles aux malades et à leurs familles, pourraient augmenter une pratique sauvage ! D’abord parce qu’avec un texte elle cesse d’être incontrôlable et incontrôlée, ensuite parce que justement la loi rend caduque cette façon de procéder. Pour quelle raison cacher une pratique que la loi définit et rend possible ? L’euthanasie sauvage existe – et trop – dans l’actuel cas de figure : celui de la pénalisation, pas celui de la légalisation…
Militer pour les soins palliatifs consiste à voter non pas pour la vie, mais pour la mort. Car cette technique prolonge la mort, pas la vie. Seule la mort tue, pas celui qui la donne plus tôt pour éviter qu’elle obtienne plus que ce dont elle s’empare déjà. L’homicide qualifie moins le médecin qui abrège les souffrances que le soignant décidé à tout faire pour que le vivant soit le plus longtemps, le plus sûrement, le plus cruellement, le plus consciemment en présence de son agonie. On connaît le mot de Kafka à son médecin, sur son lit de mort : « Si vous ne me tuez pas, vous êtes un assassin »…
Chacun peut désirer une façon plus digne de mourir que pleurer dans les bras d’une soignante appelée maman entre deux gémissements pendant qu’elle nous raconte le Petit Chaperon rouge, le tout dans une ambiance d’encens, à la lumière de bougies vacillantes, pendant que passe en fond sonore une musique New Age, le corps transformé en immense blessure, bien que pommettes et menton soient masqués, la mort prenant déjà presque toute la place. D’aucuns préfèrent Caton* ou Sénèque*. Peut-on leur donner tort ?
Parmi les critiques faites par les tenants des soins palliatifs aux partisans de l’euthanasie, on trouve cet étrange reproche : l’agonisant qui réclame de l’aide pour mourir ne respecte pas la dignité… de celui à qui il formule sa demande ! Un comble… comme si les contrats en pareil cas se constituent sans la liberté* des parties prenantes, en l’occurrence celle de l’individu sollicité toujours libre de refuser et nullement contraint d’obéir… L’euthanasie comme crime éthique contre le vivant à qui l’on demande de la pitié, voilà une bien étrange façon de considérer la volonté du mourant !
Là encore apparaît cette idée que le palliatif place moins le malade au centre de ses préoccupations que le soigné obsédé par la triviale opération du salut de son âme. Si en pareil moment un membre du personnel hospitalier trouve qu’on lui manque de respect en lui demandant de l’aide à mourir, à quoi ressemble sa capacité à la compassion*, au sens étymologique ? Il ne souffre pas avec, mais pense à sa seule personne tout en souhaitant ne pas mettre en péril son paradis potentiel, fût-ce au prix d’un geste compassionnel que peut-être leur Jésus n’aurait pas renié – mais que l’Eglise condamne…
Quelle inhumanité d’interdire à un mourant, qui d’une certaine manière a tous les droits* - il lui reste si peu à vivre -, de se réapproprier ce qui peut encore l’être ? Tous les philosophes qui théorisent la toute-puissance de la nécessité insistent sur la définition de la liberté dans le cas de cette impasse éthique : consentir, aimer ce qui advient, vouloir ce qui nous veut, voire aller au-devant de ce qui nous attend si l’on sait ne pouvoir y échapper. Le suicide* romain s’appuie sur cette aporie : en décidant ce qui a été imposé par le destin, je reconquiers partiellement la liberté de m’y soustraire. Comment priver un être de ce pouvoir ? De quel droit ?
Les palliatifs tiennent la vie pour une valeur en soi, sur le principe de la religion catholique apostolique et romaine. La cohérence métaphysique et ontologique devrait leur interdire la mise à mort de tout ce qui vit – les rats, les cafards, les moustiques, les mouches, les morpions, etc. -, donc déclencher en eux un végétarisme militant, voire un austère végétalisme, doublé d’un pacifisme militant, puis d’une opposition absolue à la peine de mort* On en est loin…
Du côté des défenseurs de l’euthanasie, on ne communie pas dans la religion de la vie*: elle n’est pas un absolu, un en-soi sur le principe d’une divinité appelant la prosternation. La vie compte pour ce qu’on en fait et sa qualité, pas sa quantité, elle vaut pour son usage, pas son essence, elle importe par sa construction, sa jouissance, par son être-là en dehors de tout projet et de toute incarnation nominaliste. Une vie présente de l’intérêt quand elle permet la fabrication, l’émergence et l’entretien de l’humain en l’homme. Quand l’humanité quitte un corps dans lequel il ne reste que la vie, elle ne signifie plus rien et pèse autant que tout ce qui vit par ailleurs sur la planète. La mort a déjà fait son travail….
[...]
A l’évidence, l’euthanasie pose moins de problèmes quand elle relève d’une demande claire formulée par une personne saine de corps et d’esprit que dans le cas d’un individu définitivement coupé du monde par la maladie, relié à la vie par la seule technique, silencieux de son vivant sur son éventuel désir d’en appeler à la mort douce, se trouvant dans un lit d’hôpital artificiellement en vie, prolongé par l’appareillage, maintenu vivant par des machines. L’idéal consiste en un testament de vie rédigé bien avant le jour fatal dans lequel la personne signataire confie ses désirs de ne pas subir d’acharnement thérapeutique, de bénéficier de tous les antalgiques possibles et imaginables, fût-ce au prix du raccourcissement de la vie, enfin de pouvoir profiter d’un geste euthanasique.
Avec ce papier porté sur soi, son auteur prolonge sa vie et sa conscience dans le moment où celles-ci disparaissent. Le même document, pour l’instant sans valeur légale (l’« Association pour le droit à mourir dans la dignité*» travaille à sa reconnaissance juridique), peut mentionner le nom d’une personne à qui l’on délègue le pouvoir de décider pour soi. Le mandataire dispose dès lors du pouvoir de représenter le mourant auprès du corps médical et de mener à bien les discussions que son aimé ne peut plus conduire. Cette disposition montre que la mort donnée dans l’euthanasie procède de l’affection, de la tendresse, de la pitié, de la fidélité et que dans ce geste une histoire d’amour se prolonge et se parfait.
L’euthanasie suppose donc la résolution de quelques problèmes philosophiques. Ainsi : aucun devoir de vivre ne s’oppose à un droit de mourir* : qu’est-ce qui justifierait ce devoir, sinon une transcendance, un extérieur à l’individu – autant dire une fiction ? Quelle instance pourrait interdire ce droit à disposer de soi-même, de son corps, de sa vie et de ses usages libres ? Mais aussi : il n’existe aucun devoir envers soi-même, dont celui de ne pas attenter à son existence, seulement des droits, sur ce terrain personne n’est obligé à rien d’autre que ce à quoi il se contraint. Egalement : le droit de mourir est supérieur au devoir de ne pas tuer, car tuer un autre que soi et se tuer relèvent d’une semblance seulement en regard d’un sophisme et d’une idéologie visibles à l’œil nu… dans un monde sans Dieu, sans âme immatérielle, sans transcendance, le mourant n’a de comptes à rendre qu’à lui-même.
Compte rendu de Michel Onfray, Féeries anatomiques , Généalogie du corps faustien, Paris, Éd. Grasset, 2003 par
P. Yves Ledure dans Esprit et Vie, n°113 - octobre 2004:
Dans ce nouveau livre, Michel Onfray réaffirme sa volonté farouche de « déchristianiser la civilisation » dans laquelle nous vivons (p. 89). Car, à ses yeux, le christianisme a fait son temps. À sa place, il se propose de « construire une métaphysique athée, matérialiste et hédoniste » (p. 111). Propos ambitieux et quelque peu décalé, car l’ombre de Nietzsche* hante ces pages particulièrement violentes sans pour autant leur donner le souffle poétique qui inspirait l’auteur de Ainsi parlait Zarathoustra.
Pour arriver à ses fins, M. Onfray propose une ontologie du corps, ce qu’il appelle le «corps faustien» qu’il oppose au corps chrétien. Il s’agit donc de reconstruire une philosophie qui fasse droit au corps que l’idéalisme et le christianisme avaient et ont déprécié. Cette perspective qui commande la problématique du livre ne manque pas de pertinence, tant il est vrai que le corps a été le refoulé de la civilisation occidentale. Il faudra attendre le XIX° siècle, avec notamment Schopenhauer*, pour voir le corps retrouver son importance et sa signification anthropologique majeure. Dans ce sillage, Michel Onfray veut libérer le corps de toutes les entraves qui pèsent sur lui et l’empêchent de jouir paisiblement de toutes ses possibilités que la science médicale, et en particulier la bioéthique décuplent de plus en plus. M. Onfray fait notamment l’éloge d’une médecine transgénique capable de modifier les gènes pour, selon lui, rendre la maladie impossible. L’éloge de cette médecine prédictive retrouve les accents utopiques du xixe siècle qui espéraient des progrès de la science la solution aux malheurs de l’homme… Hélas, le XX° siècle nous aura montré à quel point science et technique pouvaient tout autant générer souffrance et mort.
Ce livre bien documenté, écrit avec passion, donne le vertige. À partir d’un matérialisme rigoureux qui tient davantage de Canabis et de Changeux que de Nietzsche, Onfray prône un hédonisme qui prétend libérer le corps, mais en ignore les limites. Car ce « corps heureux, joyeux, fier et libre » (p. 277) n’en est pas moins affronté à la souffrance, au mal et à la mort. Michel Onfray espère tout des techniques médicales et génétiques et se moque – bien imprudemment à mon sens – de ce qu’il appelle avec mépris la « camelote ontologique » (p. 360), de l’Église comme de soins palliatifs* qui ne sont, à ses yeux, que « subterfuge et tromperie » (p. 333).
Mais face à la mort, le technophile Onfray n’a rien d’autre à proposer que l’invocation nietzschéenne « y aller, mais à son heure » (p. 362). C’est peu dire que cette perspective est sans espoir. Et il faudra plus que ce jeu de mots « La mort me veut ? Je veux la mort » (p. 322) pour ouvrir le moindre horizon, ne serait-ce que celui de la grandeur tragique !
Dans ce livre, la haine du christianisme et plus particulièrement de l’Église catholique affleure constamment. Aux yeux de Michel Onfray le christianisme est « une religion régressive et névrotique » (p. 209) qui a ouvert « une période d’obscurité » (p. 105) dans l’histoire. Onfray en voit la raison principale dans « sa haine du corps ». Il est vrai que sur ce point le christianisme a d’immenses retards à rattraper et qu’il ne peut plus en rester à ses représentations traditionnelles qui relèvent plus du platonisme des Pères que de la seule doctrine évangélique. Mais cette lacune ne déprécie pas pour autant tout son projet anthropologique qui consiste à offrir un horizon à la fatalité de la mort. C’est à ce prix que la vie peut être sauvée. Et la contemplation du crucifié n’est pas morbide complaisance dans la souffrance, comme l’affirme Onfray, mais plutôt source d’espérance et symbolique de dépassement.
IMAGE
pointscommuns.com