L'Encyclopédie sur la mort


Mourir, un acte de vie

Frances Norwood, Mourir, un acte de vie. Prévenir la mort sociale par la discussion pré-euthanasie et les soins de fin de vie. Leçons des Pays-Bas, traduit de l'anglais (américain) par Lise Laberge et Pierre Viens, Post-face Yves Bonnier-Viger, Québec, Presses de l'université Laval, 2010.

«Les Pays-Bas ont la plus longue pratique légale de l'euthanasie*. Mais comment se déroule cette pratique dans la réalité quotidienne? Que signifie-t-elle pour les Néerlandais qui choisissent de terminer leur vie de cette façon ? Comment cheminent-ils vers cette fin? Comment les médecins qui pratiquent l'euthanasie dans ce pays assument-ils leur rôle et les responsabilités que leur confie la loi? C'est ce qu'a voulu savoir l'anthropologue médicale américaine Frances Norwood qui, pendant quinze mois, a suivi, observé et interrogé des patients en phase terminale, leurs proches et leurs médecins à Amsterdam et dans de petites localités environnantes.

Elle nous livre ici les résultats souvent inattendus de sa recherche. L'étude de Frances Norwood est fascinante à maints égards: elle explique des assises culturelles et historiques de la pratique néerlandaise de l'euthanasie, elle compare la situation diamétralement opposée des patients en fin de vie aux Pays-Bas et aux États-Unis, rappelle les grands traits des deux systèmes de santé dans lesquels s'insèrent les pratiques de l'euthanasie aux Pays-Bas et du suicide assisté en Oregon. Elle introduit aussi le concept de «mort sociale»: avant même son décès physique, le mourant perd ce qui fait de lui un individu autonome, participant actif dans son milieu, avec lequel il n'interagit plus.

Plus encore, elle nous livre les témoignages touchants de personnes en fin de vie et de leurs proches par les larges extraits des entrevues qu'elle a menées (en néerlandais) auprès d'elles. Elle y joint même le témoignage de sa propre mère, qu'elle a accompagnée dans son agonie de cancéreuse. Frances Norwood relate sa propre expérience d'accompagnement avec une candeur et une humanité que l'on retrouve rarement dans les ouvrages scientifiques.» (L'éditeur, Quatrième page de la couverture)

Le livre est précédé par une préface de Andrew Strathern et Pamela Stewart, directeurs de collection, intitulée «Vie et processus de mort: fins et moyens» et termine par une postface d'Yves Bonnier-Viger, M.D., M. Sc., CSMQ, médecin spécialiste en santé communautaire, adjoint médical au Directeur de la santé publique de Chaudière-Appalaches, Professeur au Département de médecine sociale et préventive de l'université Laval: «Bref aperçu de la situation des soins palliatifs* au Québec»

L'ouvrage comprend aussi

Sept figures et six tableaux

Trois annexes:

Annexe A: Liste des personnes rencontrées.
Annexe B: Loi néerlandaise sur l'interruption de la vie sur demande et le suicide assisté (procédures de révision (2002). Loi entrée en vigueur le 1 er avril 2002.
Annexe C: Loi de l'Oregon sur la mort dans la dignité (1997).

Commentaire

Frances Norwood présente une façon particulière d'envisager la culture comme «certains processus communs (acquisition et transfert de comportements, de connaissances et d'attitudes) typiques de personnes qui partagent des caractéristiques, des événement ou un habitat précis.» La culture ainsi considérée, poursuit-elle, est «un phénomène partagé», mais pas toujours de manière égale. «Elle est fragmentaire, elle influence et est influencée par des gens qui partagent un point commun, que ce soit la race, l'ethnie, le genre, la généalogie, la géographie, la nation ou autre chose. La culture nourrit des perceptions communes quant à ce qui se fait et à ce qui ne se fait pas, et ces perceptions se transmettent de génération en génération et sont continuellement ré-interprétées, réaménagées et redéfinies.»

Or, un de ces processus communs «typiquement néerlandais» est celui de l'overleg (consultation). Ayant résidé moi-même une année de 1986 à 1987 aux Pays-Bas comme visiting scolar à l'Instituut voor Gezondsheidsethiek à Maastricht j'ai pu établir contact avec plusieurs chercheurs et professionnels dans les domaines médicaux. Ainsi, j'ai pu observer que la consultation fut largement utilisé aux Pays-Bas dans plusieurs sphères de l'activité politique, sociale et médiatique (radio, télévision). La recherche d'un consensus social dans les débats autour de l'euthanasie et le suicide (zelfdoding) fut manifeste et s'effectua dans une atmosphère détendue et ouverte de partage égalitaire de la parole. Une liberté d'expression très ferme et rationnellement bien appuyée, intelligente et civilisée, non absent d' humour (ceci est aussi typiquement néerlandais) me frappa dans l'espace publique où diverses religions et divers groupes de la laïcité avaient leur mot à dire. Si l'émotion était sans doute présente dans chacun des partenaires, elle ne donnait pas lieu à des discours dogmatiques ou disgracieux .

Frances Norwood se réfère à l'historien de la culture Hans van der Horst pour sa description de L'overleg dans la pratique du dialogue social aux Pays-Bas:

«"Consultation", comme traduction littérale, ne recouvre pas la pleine signification du terme en néerlandais. Overleg est une forme de communication de groupe qui ne vise pas tant à parvenir à une décision qu'à donner aux parties concernées la possibilité d'échanger de l'information. Les Néerlandais passent beaucoup de leur temps de travail en overleg. Cela signifie qu'ils discutent de l'avancement des affaires avec leurs collègues. Ils décrivent en détail les activités dans lesquelles ils sont engagés. Les autres membres du groupe ont, en principe, le droit d'émettre des commentaires et de poser des questions.»

En fine observatrice, Frances Norwood associe la tradition «typiquement néerlandaise» de l'overleg avec une autre tradition «typiquement néerlandaise». Comme tout visiteur se rendant aux Pays-Bas pour la première fois. elle a remarqué «les grandes fenêtres sans rideaux des maisons néerlandaises typiques des villes et des campagnes». Et elle a été «surprise en marchant dans la rue de pouvoir observer sans contrainte les gens en train de manger, de regarder les nouvelles du soir ou de se reposer au salon.» Elle cite l'anthropologue suédois Ulf Hannerz qui a émis l'hypothèse «que la fenêtre néerlandaise est un outil qui permet les allers-retours culturels du privé au public et vice versa. L'espace privé ne commence pas à la porte des foyers néerlandais; il commence dans les pièces arrière de la maison où les voisins et les passants ne peuvent pas vous voir.»

Ainsi, Frances Norwood parvient à démontrer, avec beaucoup de justesse, que «la vie privée néerlandaise n'est pas complètement privée». En regard de l'euthanasie, les Néerlandais ont développé une mentalité et une conduite «profondément ancrés dans leur culture». En effet, «lorsque les mourants s'engagent dans la discussion pré-euthanasie, ils amorcent un discours qui enrichit et éclaire l'expérience du mourir, un dialogue structuré et partagé culturellement qui renforce les rapports sociaux et familiaux. Une partie du réseau social de relations intègre les huisartsen (médecins pratiquant la médecine familiale) et le personnel des services de soins à domicile selon un mode inconnu aux États-Unis. [...] Aux Pays-Bas, l'euthanasie est une expérience sociale menée par le huisarts (médecin de famille) et qui se déroule en consultation avec lui et votre famille. »

L'overleg pré-euthanasie «donne aux mourants un rôle actif qui les rattache à la famille et à la société. Clive Seale énonce que la mort sociale précède la mort biologique lorsque les liens de la personne avec elle-même et avec sa société ont été inexorablement rompus. Aux Pays-Bas, un discours de fin de vie empêche cette rupture. La mort sociale peut être évitée ou du moins retardée jusqu'à la toute fin en permettant aux individus de planifier leur mort par la discussion pré-euthanasie.» Par conséquent, «la mort néerlandaise et le temps qui la précède sont une affaire à la fois publique et privée aux Pays-Bas.» Preuve en est: les visites parfois quotidiennes des médecins, les allées et venues des infirmières et des aides des soins à domicile, font que la maison d'un malade néerlandais «est loin d'être privée». Cela ne veut pas dire pour autant que le respect de l'intimité de la personne n'y serait pas respecté. La liberté intérieure est primordiale dans l'ethos néerlandais. L'espace publique et l'espace privé se distinguent et sont géographiquement bien balisés dans la société néerlandaise, mais le malade ou le mourant est une «personne» et, de ce fait, un partenaire social de la consultation en ce qui le concerne personnellement et en ce qui concerne le débat publique, une personne qui a sa vie privée et son intimité, mais qui demeure intégrée à la société et justifiée à réclamer et à recevoir à domicile les soins médicaux qui s'imposent et légitimée à participer à la consultation relative aux modalités de sa fin de vie. (Éric Volant)

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-10