L'Encyclopédie sur la mort


Montesquieu Charles de

MontesquieuMoraliste et juriste français, encyclopédiste, Montesquieu (1689-1755) est le précurseur de la sociologie ou des sciences humaines. Dans De l’esprit des lois, il semble attacher foi à la théorie du déterminisme climatique et de la maladie anglaise*. «Dans une nation à qui une maladie du climat* affecte tellement l’âme qu’elle pourrait porter le dégoût de toutes choses jusqu’à celui de la vie», on ne peut pas plus punir l’homicide de soi-même «qu’on ne punit l’affect de la démence» (Œuvres complètes, p. 617). Cependant, il attribue au désir du suicide des origines psychologiques occultes. «L’amour-propre, l’amour de notre conservation, écrit-il dans Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, se transforme en tant de manières, et agit par des principes si contraires, qu’il nous porte à sacrifier notre être pour l’amour de notre être; et tel est le cas que nous faisons de nous-mêmes, que nous consentons à cesser de vivre, par un instinct naturel et obscur qui fait que nous nous aimons plus que notre vie même» (p. 459). Son appréciation des suicides des Romains varie selon le cas: «Brutus* et Cassius* se tuèrent avec une précipitation qui n’est pas excusable; et l’on ne peut lire cet endroit de leur vie sans avoir pitié de la république qui fut ainsi abandonnée. Caton* s’était donné la mort à la fin de la tragédie; ceux-ci commencèrent, en quelque façon, par leur mort.»

Mais c’est dans ses Lettres persanes (p. 61-151) que l’on découvre le mieux sa morale nuancée à l’égard du suicide et sa critique de la répression judiciaire du suicide. Dans l’édition de 1721, de Paris, Usbek écrit une lettre à son ami Ibben, à Smyrne, et s’y exprime en ces termes: «Les lois sont furieuses en Europe contre ceux qui se tuent eux-mêmes. On les fait mourir, pour ainsi dire, une seconde fois; ils sont traînés indignement par les rues; on les note d’infamie; on confisque leurs biens. Il me paraît, Ibben, que ces lois sont bien injustes» (Lettre 76, p. 103). Puis, dans une longue argumentation, il se prononce en faveur du suicide. Celui-ci peut se justifier parce que 1. il est une voie de salut pour celui qui souffre: «Quand je suis accablé de douleur, de misère, de mépris, pourquoi veut-on m’empêcher de mettre fin à mes peines, et me priver cruellement d’un remède qui est en mes mains?»; 2. le contrat social ne tient plus: «Pourquoi veut-on que je travaille pour une société dont je consens de n’être plus, que je tienne, malgré moi, une convention, qui s’est faite sans moi? La société est fondée sur un avantage mutuel: mais, lorsqu’elle me devient onéreuse, qui m’empêche d’y renoncer? […] Le prince veut-il que je sois son sujet, quand je ne retire point les avantages de la sujétion? Mes concitoyens peuvent-ils demander ce partage inique de leur utilité et de mon désespoir?»; 3. la vie est un don dont je puis disposer librement: «La vie m’a été donnée comme une faveur; je puis donc la rendre, lorsqu’elle ne l’est plus: la cause cesse; l’effet doit donc cesser aussi»; 4. l’ordre de la Providence n’est pas troublé par mon départ volontaire: «Lorsque mon âme sera séparée de mon corps, y aura-t-il moins d’ordre et moins d’arrangement dans l’univers? […] Pensez-vous que mon corps, devenu un épi de blé, un ver, un gazon, soit changé en un ouvrage de la nature moins digne d’elle? et que mon âme, dégagée de tout ce qu’elle avait de terrestre, soit devenue moins sublime?»; 5. l’être humain a si peu d’importance dans l’univers: «Nous ne sentons p oint notre petitesse; et […] nous voulons être comptés dans l’univers, y figurer, y être un objet important. Nous nous imaginons que l’anéantissement d’un être aussi parfait que nous dégraderait toute la nature: et nous ne concevons pas qu’un homme de plus ou de moins dans le monde; que dis-je? tous les hommes ensemble […] ne sont qu’un atome subtil et délié, que Dieu n’aperçoit qu’à cause de l’immensité de ses connaissances.» Dans l’édition de 1754, Montesquieu insère habilement une lettre 77, qui se distingue par sa rectitude morale et semble vouloir atténuer les effets de la lettre précédente. Dans sa réponse laconique, Ibben rappelle à Usbek la valeur de la souffrance: «Ce sont des jours bien précieux que ceux qui nous portent à expier nos offenses. C’est le temps des félicités qu’il faudrait abréger» (p. 103-104). Il y prône également la conservation de l’union du corps et de l’âme en tant que soumission à la loi religieuse et à la loi civile.

 

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Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-15