L'Encyclopédie sur la mort


Monroe Marilyn

 

Lorsque Norma Jean Baker voit le jour, sa mère Gladys Hogan, de santé mentale fragile, est divorcée de son premier mari et veuve du second. Marilyn est confiée à onze familles d’accueil et à un orphelinat. À seize ans, le 19 janvier 1942, elle épouse un certain James Dougherty, ouvrier dans une usine. Leur union durera quatre ans, jusqu’au 2 octobre 1946. Elle se marie et divorce encore deux fois, d’abord avec Joe Di Maggio, champion de baseball, puis avec le dramaturge Arthur Miller*. Elle n’aura pas d’enfant. Entre-temps, découverte par un photographe de l’armée de l’air, elle commence à poser pour des photos publicitaires des magazines US Camera et Pageant. En 1949, une de ses photos dans un calendrier où elle se présente nue fait le tour du monde. Elle obtient alors ses tout premiers rôles dans des films qui mettent en valeur ses atouts physiques: Le petit train du Far West, Quand la ville dort, Nid d’amour. Dès 1952, le personnage de la femme de petite vertu ou de prostituée devient plus manifeste dans Troublez-moi ce soir ou dans La sarabande des pantins. Niagara (1953) présente Marilyn comme le modèle de la femme fatale à laquelle l’homme marié ne peut résister. L’exhibition de ce modèle n’est pas sans relation avec la croissance du taux de divorce aux États-Unis dans les années cinquante. Dans le très beau film Rivière sans retour, la beauté charmeuse de Marilyn rivalise avec la splendeur des paysages des Rocheuses. Le film Sept ans de réflexion (1955) montre «le vent soulevant la robe de Marilyn et découvrant ses jambes sculpturales» (P. Strassberg dans le New York Daily Mirror). Cette image, que tout Américain a pu savourer avec délice, la rendra célèbre et traversera l’histoire. Entre 1953 et 1960, la plupart des productions mettent en vedette une Marilyn qui danse et chante, comme dans Le milliardaire (1960), film d’une gaieté délirante où elle joue aux côtés de Yves Montand. On serait tenté d’établir des relations entre la biographie de Marilyn et certains titres de films, par exemple, son premier film, Les années dangereuses (1948), qui semble annoncer ses tourments futurs, ou son dernier film, Quelque chose va craquer (1962), qui n’a pas pu être achevé à cause de sa mort survenue dans la nuit du 4 au 5 août 1962. Cette mort a suscité beaucoup de rumeurs. Selon l’enquête policière, c’est un suicide par absorption massive de barbituriques. Parfois, c’est une mort accidentelle et, quelquefois, un assassinat politique. Dans les faits, on a trouvé Marilyn morte dans sa ville à Los Angeles, nue dans son lit et la main tendue vers son téléphone blanc. Le récit de sa vie, publié après sa mort sous le titre de Confession inachevée, s’arrête à 1954.

Sa carrière et sa vie inachevées sont jugées différemment selon les diverses tendances culturelles et sociales de l’époque et des époques suivantes en Amérique ou ailleurs. Pour les uns, Marilyn tire le maximum d’un immense talent, pour les autres, elle est le produit d’un système fabricateur d’images. Dans Marilyn Monroe, révélations et passion (Paris, Favre, 1988), Serge Antibi estime que le charme de sa beauté physique, allié à sa puissance photogénique, et l’utilisation cinématographique qui a été faite de «la coïncidence géniale» entre sa vie et son personnage «atteignent au sublime» (p. 57). «Elle maintient l’image d’une immuable jeunesse. […] C’est cela qui rend le mythe de Marilyn très attachant, cette aspiration sincère, profonde et tourmentée vers l’univers de la jeunesse et de l’enfance. Le public est véritablement sensible au monde de Marilyn, maladroit, imparfait et inachevé qui exprime un désir ardent de perfection et de bonheur» (p. 87). Chez Marilyn, on observe donc une contradiction déchirante entre l’inachèvement de sa personne et sa quête d’accomplissement heureux. Selon le même auteur, elle constitue la «victoire d’une prolétarienne sur le rêve américain» par le retour à la nature, la recherche de l’amour et du bonheur dans un monde dominé par la performance financière, la désinvolture sociale et la combinaison gagnante du plaisir et de l’humour (p. 89-127).

L’interprétation de Christine Berckmans dans son Marilyn Monroe, mythe et séduction (Paris, L’Harmattan, 1993) est féconde. L’ensemble de la vie de Marilyn est présenté comme le processus d’autoconstruction d’un personnage public qui aura pour effet l’autodestruction* de la personne qui en est la créatrice. En effet, Norma Jean Baker (la personne) a donné naissance à la star Marilyn Monroe (le personnage) et, dans le tumulte de son cheminement vers la gloire, la seconde a emporté la première. Le mythe de la divine Marilyn survivra à l’humaine fragilité de Norma et accédera à l’immortalité. Berckmans établit un parallèle saisissant entre Marilyn Monroe et la photographe new-yorkaise Cindy Sherman qui, à partir d’autoportraits, construit et déconstruit, au gré de sa fantaisie, sa propre image dans une diversité de personnages suggérés par les stéréotypes de la culture américaine. Marilyn, elle aussi, a sans cesse remodelé son apparence physique pour adopter le rôle qu’elle entend jouer. Ce modèle du féminin est un mélange de tradition et de modernité, de désinvolture et d’insolence, en tout conforme aux désirs des hommes. C’est dans la confusion tragique entre personne et personnage ou dans l’échec de réunir deux inconciliables, c’est-à-dire la séduction de la pin-up et de la star, d’une part, et l’amour de l’épouse et de la mère, d’autre part, que Norma se meurt. Au fur et à mesure qu’elle avance en âge, elle souffre de l’absence d’un quotidien capable de donner figure à sa personnalité intime: «Car si la banalité de la vie journalière portée à l’extrême est capable de tuer la vie de l’être, son absence ne détruit-elle pas d’une autre manière?» (p. 111). Les récits des Mille et une nuits, contés par Shéhérazade afin de séduire le sultan et de différer ainsi sa mort, révèlent une structure à trois composantes qui sont fort bien repérables dans le destin de Marilyn: 1. la fascination exercée par la star sur l’imaginaire collectif, avec la complicité des médias et de la publicité, produisant l’euphorie et l’enchantement; 2. la conjuration de la mort par la star grâce au renouvellement ininterrompu de l’objet du désir chez les hommes ou du modèle de l’imitation chez les femmes; 3. le spectre de l’absent: l’absence à soi et aux autres qui crée le mal de vivre. Au temps où la séduction exerce ses pouvoirs sur la foule, la mort est vaincue en apparence. Mais la séduction est un leurre qui déjoue autant l’actrice que les spectateurs, lorsque celle-ci transpose son rôle de la scène à sa vie privée. Elle est un impératif qui renferme déjà la mort, présente sous son contraire: «je séduis ou je meurs».

Lee Siegel, « Unsexing Marilyn Monroe »
The Guardian, samedi le 7 janvier 2012

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© Éric Volant

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Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-06-29

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