L'Encyclopédie sur la mort


Le thème de la mort dans Tosca de Puccini

C’est en 1900 que Giaccomo Puccini termine la composition de Tosca, d’après une pièce de théâtre mélodramatique de Victorien Sardou, un opéra qui mêle des dimensions politiques nationalistes à celles des préoccupations amoureuses et érotiques rendues plus vivaces par le rapport à la torture, au suicide, au meurtre et à l’exécution, des éléments thanatologiques qui sous-tendent toute l’oeuvre.

L’intrigue prend place à Rome en juin 1800 au moment où les troupes anglaises ont repris la ville et abrogé la République romaine établie par les troupes française en 1798. C’est sur ce fonds de révolution que le baron Scarpia est chargé d’établir une police secrète qui veille à arrêter les opposants à la contre-révolution et à les torturer.

Dans le premier acte, Mario Carvadossi, un jeune peintre porte assistance à un révolutionnaire, César Angelotti, emprisonné pour trahison mais qui s’est échappé de sa geôle et est poursuivi par Scarpia.

Dans le second acte, Carvadossi est arrêté, mais il nie savoir où se cache Angelotti. Scarpia, poussé par un violent désir sexuel pour Tosca, la cantatrice amante de Carvadossi, la convoque à son palais, assuré qu’elle viendra sauver son amant mais il révèle du même coup sa stratégie secrète où l’amour tient peu de place :

Par amour pour lui elle se donnera à moi.
Dans un si profond amour,
il y a une grande misère.
Je goûte davantage les conquêtes difficiles
que les consentements résignés.
[…] je poursuis un désir
jusqu’au succès, puis je le rejette.
Il me faut un nouvelle proie. Dieu a fait divers types
de beauté,comme divers types de vin; et à tous
ces présents divins, je veux goûter pleinement!


extrait musical :< http://www.youtube.com/watch?v=I5lzumCmgKA >

Il l’interroge sur la cachette d’Angelotti et, pour la briser, fait torturer Carvadossi dans une chambre voisine, utilisant ainsi sa souffrance comme arme de chantage en précisant la condition du prisonnier soumis à des procédures qui mettent en danger sa vie. Le texte met ainsi en évidence l’opposition entre la torture physique vécue par le peintre et ses répercussions sur la psyché de Tosca profondément empathique à sa souffrance :

TOSCA
Un moment pénible ? Que voulez-vous dire ?
Que se passe-t-il derrière cette porte ?
SCARPIA
Il faut faire respecter la loi.
TOSCA
Oh ! Dieu ! Que se passe-t-il ? Que se passe-t-il ?
SCARPIA
Pieds et poings liés, votre amant
à un anneau de fer sur son front
et le sang gicle à chaque dénégation.
TOSCA (se levant d’un bond)
C’est faux ! C’est faux !
Horrible démon !
(On entend un gémissement prolongé poussé par
Cavaradossi.)
Il gémit ! Pitié ! Pitié !
SCARPIA
Il ne tient qu’à vous de le sauver ! […]
(On entend la voix de Cavarossi) Tosca !
TOSCA
Te torturent-ils encore ?...
CAVARADOSSI
Non, courage ! La torture ne me fait pas peur.
SCARPIA
Allons, Tosca, parlez !
TOSCA (fortifiée par les paroles de Cavaradossi)
Je ne sais rien !
SCARPIA
Cela ne vous suffit pas ?
Roberti, continuez...
TOSCA
(se plaçant entre Scarpia et la porte)
Non ! Assez !
SCARPIA
Parlez !
TOSCA
Non, non ! Monstre !
Vous le tuez !
SCARPIA
C’est votre silence
qui le tuera !
TOSCA
Monstre, vous riez
devant ces horribles tortures !
SCARPIA […](à Spoletta)
Ouvre la porte,
qu’elle l’entende gémir ![…]
TOSCA
Que vous ai-je fait ? : C’est moi
que vous torturez.
Vous torturez mon âme...
(Elle éclate en sanglots.)
Oui, vous torturez mon âme !


Tosca, incapable de résister à la souffrance de son amant finit par avouer le lieu, condamnant ainsi Angelotti à la mort, puisqu’il se suicide. Scarpia lui propose alors un marché. Elle doit accepter de se donner à lui sinon Mario mourra comme il le précise en faisant appel à une description des derniers moments avant l’exécution par un peloton, préfigurant ainsi la dernière scène de l’opéra :

SCARPIA
Vous serez à moi !
(Il tente de la saisir.)
TOSCA
Scélérat !
(Elle se réfugie derrière la table.)
SCARPIA (la poursuivant)
À moi !
TOSCA
Au secours ! Au secours !
(On entend au loin un roulement de tambour qui se
rapproche puis s’éteint.)
SCARPIA
Vous avez entendu ?
Ce sont les tambours, la dernière escorte
du condamné. Le temps presse !
(Tosca écoute dans l’angoisse ; elle s’éloigne de la
fenêtre et s’appuie au divan.)
Savez-vous la sombre mission qui se prépare ?
Le peloton s’avance. À cause de vous.
Mario, votre Mario, n’a plus qu’une heure à vivre.
(Il s’appuie sur un coin du divan et ne quitte pas Tosca
du regard.)

C’est alors que Tosca chante le fameux air Vissi d’Arte dans lequel elle s’adresse à Dieu pour lui faire part de son sacrifice et de sa conduite exemplaire, sa fidélité et ses bonnes actions :

TOSCA
J’ai vécu pour l’art. J’ai vécu pour l’amour.
Sans faire de mal à âme qui vive !...
Furtivement j’ai tenté d’alléger
les souffrances que j’ai rencontrées...

extrait musical : < http://www.youtube.com/watch?v=_OIExoUb8jk >

Scarpia conclut un marché qu’il accompagne de certaines conditions. Elle se donne à lui et, en échange, il sauvera la vie de Cavarossi en recourant à un subterfuge alors qu’en fait il ordonne sa mort :

TOSCA
Quelle preuve ai-je ?
SCARPIA
L’ordre que je lui donne devant vous.
(à Spoletta)
Spoletta, ferme la porte.

(Spoletta ferme la porte et revient vers Scarpia.)
J’ai changé d’avis.
Le prisonnier sera fusillé...
(Tosca tressaillit d’horreur.)
Attendez...
(Il fixe Spoletta du regard. Spoletta incline la tête pour
indiquer qu’il a compris.)
Comme pour le Comte Palmieri.
SPOLETTA
Une exécution...
SCARPIA (scandant bien les mots)
... Simulée, comme
pour Palmieri. Tu as compris ?
SPOLETTA
J’ai compris.
SCARPIA
Va !
Elle lui demande un sauf-conduit qui leur permettra de quitter la ville avec son amant. Tosca fait semblant d’accepter ses avances puis après s’être emparée d’un poignard, elle lui inflige plusieurs coups en lui souhaitant la mort :
SCARPIA
Au secours ! Je meurs ! Au secours !
TOSCA
(regardant Scarpia qui lutte désespérément,
s’accrochant au divan pour tenter de se mettre debout)
Le sang vous étouffe?
Une femme vous a frappé!
M’avez-vous assez torturée?
M’entendez-vous encore? Parlez!
Regardez-moi. Je suis Tosca. Scarpia!
SCARPIA (après un dernier effet, s’écroule)
Au secours! Au secours!
TOSCA (penchée sur lui)
Le sang vous étouffe?
Meurs, maudit! Meurs! Meurs! Meurs!
(le voyant immobile)
Il est mort. Maintenant je lui pardonne!
Tout Rome tremblait devant lui!


extrait musical : < http://www.youtube.com/watch?v=S_Fqo1-D6AM >

Elle s’empare par la suite du sauf-conduit et s’enfuit avec le document.

Dans le troisième acte qui commence à l’aube, Cavarossi écrit une lettre d’adieu à Tosca avec l’air célèbre E lucevan le stelle dans lequel il proclame son amour pour Tosca et pour la vie dans des vers empreints d’une vision romantique où les images de la nature se conjuguent à celle de l’érotisme :

Et les étoiles brillaient,
Et la terre avait des senteurs,
La porte du jardin grinça,
D'un pas elle effleura le sable.
Elle entra, parfumée,
Et elle tomba dans mes bras.
O doux baisers! ô caresses langoureuses
tandis qu'en tremblant je délivrais les belles formes de leurs voiles
Il a disparu pour toujours, mon rêve d'amour.
L'heure s'est envolée, et je meurs, désespéré!
Et je n'ai jamais autant aimé la vie!

extrait musical : < http://www.youtube.com/watch?v=oQiH5bpoff4&feature=related >

Tosca vient le rejoindre pour lui annoncer sa proche délivrance, le mettre au courant de la mort de Scarpia et ses raisons, reprenant les images fortes du chef de la police sur l’exécution, complétées par la description de son crime :

CAVAROSSI
(regardant le laissez-passer de plus près, il voit la
signature)
Scarpia!
Scarpia a consenti? C’est son premier geste
d’humanité...
TOSCA
Et le dernier.
CAVARADOSSI
Que veux-tu dire?
TOSCA
Il voulait ou ton sang
ou mon amour : les supplications et les larmes étaient
inutiles.
Folle d’horreur, j’ai supplié en vain
la Madone et les Saints.
Le misérable disait
que déjà le peloton
était prêt.
On entendait déjà les tambours
et il riait. Le monstre riait
prêt à se jeter sur sa proie!
« Vous êtes à moi! » Oui, je me suis promise
à lui. Puis j’ai vu briller
la lame du poignard
pendant qu’il rédigeait l’ordre libérateur.
Puis il est venu chercher mes caresses...
Et je lui ai planté la lame dans le coeur.

Cavarossi relève alors le courage de Tosca en mettant en opposition la douceur de Tosca et sa sollicitude avec sa quête de justice que signale son geste accompli par ses mains, comme si ces dernières avaient agi indépendamment de Tosca :


CAVARADOSSI
Toi, de tes propres mains, tu l’as tué?
Toi, compatissante et bonne, tu as fait cela pour moi?
TOSCA
Mes mains étaient rouges de son sang.
CAVARADOSSI
(prenant amoureusement les mains de Tosca dans les
siennes)
O douces mains, douces et pures,
ô mains destinées à de nobles travaux,
[…] En vous, préservées par l’amour
la justice a placé son arme sacrée,
vous avec donné la mort, ô mains victorieuses,
ô douces mains, douces et pures!
TOSCA (retirant doucement ses mains)
Tosca lui explique alors les procédures de son exécution simulée :

Écoute! L’heure approche. J’ai déjà
pris l’argent et les bijoux. Une voiture nous attend...
Mais d’abord... Ris, mon amour... d’abord
tu vas être fusillé, pour la forme, avec des armes
chargées à blanc... une punition simulée. Au coup de
feu, tu tomberas;
les soldats se retireront, et nous serons sauvés!

extrait musical : < http://www.youtube.com/watch?v=G1OAWdNjSto >

Ils évoquent ensuite leur amour qui transfigure le rapport au monde, l’être aimé devenant paré d’une puissance de transfiguration, rehaussant la valeur de la vie et amplifiant la beauté du quotidien et de la nature :

CAVARADOSSI (tendrement)
La mort ne m’était cruelle qu’en pensant à toi;
la vie prend toute sa valeur par toi;
ma joie et mon désir viennent de toi,
comme une flamme brûlante.
Je verrai maintenant à travers tes yeux transfigurés
les cieux briller et les aubes pâlir;
et la beauté de toutes choses
empruntera à toi seule sa voix et sa couleur.
TOSCA
L’amour qui t’a sauvé
nous guidera sur terre, nous conduira sur mer,
il estompera le monde à nos regards
jusqu’à ce qu’unis dans les sphères célestes
nous nous dissolvions au-dessus des flots
au soleil couchant, dans un nuage léger.

extrait musical : < http://www.youtube.com/watch?v=x63P1q6ou_0 >

Le dos à un mur, Cavarossi après avoir refusé le bandeau habituel, fait face au peloton d’exécution alors que Tosca, dans l’angoisse, attend la fin de la procédure :

Quelle attente!
Pourquoi ce retard? Le soleil est déjà haut.
Pourquoi cette attente? Ce n’est qu’une mise en
scène.
Je le sais, mais cette angoisse dure... dure...

Le peloton le met en joue et le fusille. Il tombe et Tosca se penche alors sur son amant lui parle et constate avec effroi qu’il est mort :

Ne bouge pas, Mario...
Ils s’en vont. Ne bouge pas. Ils partent...
Pas encore. Ne bouge pas...
Vite, lève-toi ! Mario ! Lève-toi! Vite! Lève-toi!
(Elle s’agenouille, rejette le manteau et bondit sur ses
pieds, livide et affolée.)
Mario! Mario! Mort! Mort!
(Elle tombe sur le corps en sanglotant :)
Ô Mario! Mort! Comment! Mourir ainsi?


Un comparse de Scarpia, prévenu de sa mort vient l’arrêter mais elle se dérobe et du haut du pont du château Saint-Ange, là où Angelotti avait aussi été enfermé, se jette dans le Tibre, rejoignant ainsi dans la mort son amant, à l’instar des couples célèbres comme Tristan et Yseult ou Roméo et Juliette mais attendant dans l’au-delà la justice divine :

SPOLETTA (se rapprochant de Tosca)
Ah! Tosca, vous allez payer cher
sa mort.
TOSCA
Payer de ma vie!
Ô Scarpia, devant Dieu!


extrait musical : < http://www.youtube.com/watch?v=8XBGeXVnfNA >


Malgré ses éléments mélodramatiques, l’opéra soulève des enjeux que l’on retrouve dans le monde politique contemporain où les discours et les actions révolutionnaires et contre-révolutionnaires continuent de recourir à la torture, à l’exploitation sexuelle, à l’assassinat et dans lequel sont victimes, souvent, des êtres innocents. La quête du pouvoir, comme l’ont montré les systèmes totalitaires et autoritaires du XXe siècle, s’arrime à la violence, à l’exploitation sexuelle et au chantage. Puccini met ainsi en relief les motivations multiples qui animent des êtres dont les pulsions, les émotions, les sentiments et les passions sont certes exagérés, mais ils révèlent les dessous troublants de systèmes sociaux où des forces antagonistes continuent d’alimenter les relations tragiques entre les hommes tendus vers la violence ou vers l’amour, les deux pouvant se rejoindre dans des situations extrêmes comme celles que vivent les deux amants.

Pour en savoir plus
Tosca : livret : Voir fichier attaché (à venir)

Analyse de l’oeuvre du point de vue musical: voir fichier attaché Plantevin (à venir)

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-16

Notes

Nous devons ce texte grâce à notre collaborateur Joseph Lévy qui est maintenant responsable de la section « Musique et mort ». Bientôt apparaîtront dans ces pages le libretto et l'analyse de l'opéra.