L'Encyclopédie sur la mort


Le suicide assisté au Canada

Historique
[...] La tolérance à l’égard du suicide qui s’est développée dans l’antiquité à l’époque classique traduisait jusqu’à un certain point un mépris pour la faiblesse, la maladie et l’incapacité de jouer un rôle dans la société après un certain âge. Mais, en même temps, elle témoignait du désir de mener une « vie bonne et utile », ce qui était presque impossible lorsqu’il y avait un déclin physique marqué. Dans l’Antiquité, les Grecs et les Romains ont réussi à dissiper l’ombre et le mystère qui entouraient le suicide et à faire en sorte qu’il fasse l’objet du discours et du débat publics.

L’intolérance à l’égard du suicide a commencé à prendre racine aux IIe et IIIe siècles de notre ère et est devenue de plus en plus marquée sous l’influence du christianisme. Alors que, chez les Anciens, le suicide n’était critiqué que s’il était illogique ou sans fondement, les chrétiens ont considéré cet acte comme une forme de provocation directe ou d’ingérence à l’égard de la volonté de Dieu; par conséquent, les suicidés n’avaient pas droit à un enterrement en terre sacrée et leur geste déshonorait leur famille. Saint Augustin lui‑même a déclaré que « la vie et ses souffrances sont des ordres divins et doivent être acceptés en conséquence ». Au XIIIe siècle, les enseignements de saint Thomas d’Aquin ont incarné l’intolérance à l’égard du suicide. Selon saint Thomas, le suicide enfreint le commandement biblique interdisant de tuer et constitue, au bout du compte, le péché le plus dangereux, parce qu’il écarte toute possibilité de repentir.


2. Le Code criminel et l’aide au suicide


En vertu de l’article 241 du Code criminel, est coupable d’un acte criminel quiconque conseille à une personne de se donner la mort, bien que le suicide en lui-même ne soit plus un acte criminel. En effet,

241. Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, selon le cas :
conseille à une personne de se donner la mort;
aide ou encourage quelqu’un à se donner la mort, que le suicide s’ensuive ou non.

La validité de l’article 241 a été contestée, en 1992, au titre de la Charte canadienne des droits et libertés, dans l’affaire de Sue Rodriguez, une femme souffrant de sclérose latérale amyotrophique ou maladie de Lou Gehrig. Mme Rodriguez a tenté de faire abroger cet article, pour le motif qu’il empêche un malade en phase terminale de réaliser son suicide avec l’aide d’un médecin. Elle a prétendu que son droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne » qui, à son avis, comprenait le droit relatif au contrôle de la méthode, du moment et des circonstances de la mort, lui était refusé par l’article 241.

La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a décidé que l’article 241 ne privait pas Mme Rodriguez de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et qu’il n’amoindrissait pas non plus sa liberté de choix ni ne modifiait sa capacité de prendre des décisions fondamentales à propos de sa vie. De l’avis de la Cour, c’est la nature de sa maladie, et non le système juridique ou l’État, qui enlevait à Mme Rodriguez la capacité de réaliser ce qu’elle souhaitait. La Cour a également conclu que l’article 241 n’établissait pas de discrimination contre les personnes au motif de l’incapacité physique.

Il a été appelé de cette décision à la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, qui, en mars 1993, a rejeté l’appel par un vote de deux contre un. De l’avis des deux juges qui ont rejeté l’appel, cette affaire relève davantage du Parlement que des tribunaux. En déterminant si l’article 241 du Code criminel va ou non à l’encontre de l’article 7 de la Charte, le juge Hollinrake a soutenu que, bien qu’il soit possible que l’article 241 prive Mme Rodriguez de son droit à la sécurité de sa personne en vertu de l’article 7 de la Charte, il n’est pas contraire aux principes de la justice fondamentale d’interdire l’aide médicale au suicide.

Le juge en chef de la Cour aurait, pour sa part, admis la requête en appel. Il a conclu que l’article 241 était contraire aux droits à la liberté et à la sécurité de la personne dont MmeRodriguez jouit en vertu de l’article 7 et indiqué que « toute disposition qui impose une période indéterminée de souffrance physique et psychologique indue à une personne dont la fin est proche ne peut de toute manière être conforme à aucun principe de justice fondamentale ».

Mme Rodriguez a appelé de cette décision devant la Cour suprême du Canada, qui a rejeté l’appel dans une décision à cinq contre quatre. Mme Rodriguez avait soutenu devant la Cour que l’alinéa 241b) du Code criminel, qui interdit à quiconque d’aider ou d’encourager quelqu’un à se donner la mort, violait les articles 7, 12 et 15 de la Charte.

La Cour a statué, à la majorité, que, bien que l’alinéa 241b) prive Sue Rodriguez du droit à la sécurité de sa personne que lui garantit l’article 7 de la Charte, cette privation est justifiée parce qu’elle est conforme aux principes de justice fondamentale. S’exprimant au nom de la majorité, le juge Sopinka a déclaré que le respect de la vie est un principe fondamental au sujet duquel il y a un consensus important au Canada. L’interdiction de l’aide au suicide reflète ce consensus et vise à protéger les personnes vulnérables qui pourraient être incitées à se donner la mort. À son avis, permettre l’aide au suicide porterait atteinte au principe du caractère sacré de la vie et donnerait à penser que l’État sanctionne le suicide. De plus, les craintes d’abus possibles et la difficulté que pose la formulation de garanties destinées à prévenir les abus font qu’il est nécessaire d’interdire l’aide au suicide.

La majorité a également rejeté l’argument selon lequel l’alinéa 241b) infligeait à MmeRodriguez un traitement cruel et inusité au sens de l’article 12 de la Charte.

Le juge Sopinka a admis que les droits à l’égalité de Mme Rodriguez, garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte, avaient été violés, mais il a ajouté que cette violation était justifiée au sens de l’article premier de la Charte. Il a fait remarquer que l’alinéa 241b) a pour objet de protéger les personnes vulnérables contre le contrôle d’autrui sur leur vie. L’introduction d’une exception à l’interdiction de l’aide au suicide pour certains groupes ou certaines personnes créerait une inégalité et confirmerait l’argument selon lequel un tel geste ouvrirait la voie à la pratique généralisée de l’euthanasie (l’argument « du doigt dans l’engrenage »). À son avis, l’élaboration de garanties destinées à prévenir les abus n’est pas une solution satisfaisante et ne contribue pas de façon suffisante à dissiper les craintes d’abus possibles. Même si une exception était introduite pour aider les malades en phase terminale, rien ne garantirait que l’aide au suicide serait limitée aux personnes qui souhaitent sincèrement mourir.

Dans son opinion dissidente, la juge McLachlin a soutenu que l’alinéa 241b) viole l’article 7 de la Charte. Elle a conclu qu’il serait contraire aux principes de justice fondamentale de priver Sue Rodriguez d’un choix qui est accordé aux personnes non handicapées pour la seule raison que d’autres pourraient être victimes d’abus. À son avis, on se sert de Sue Rodriguez comme « bouc émissaire » pour protéger les personnes qui pourraient être persuadées, à tort, de se donner la mort.

Le juge en chef Lamer a fondé son opinion dissidente sur le paragraphe 15(1) de la Charte. Il a soutenu que l’alinéa 241b) crée une inégalité du fait qu’il empêche les personnes physiquement incapables de mettre fin à leur vie sans aide, de choisir le suicide sans contrevenir à la loi; celles qui sont capables de mettre un terme à leurs jours sans aide, toutefois, peuvent le faire en toute impunité. Même s’il a dit craindre que la décriminalisation de l’aide au suicide accentue le risque que les handicapés physiques soient manipulés par d’autres personnes, il a affirmé que de telles conjectures ainsi que l’argument du « doigt dans l’engrenage » ne justifiaient pas l’imposition d’une restriction à ceux qui ne sont pas vulnérables et qui consentent librement à se donner la mort.

Le juge Cory, a appuyé, dans son opinion dissidente, le redressement proposé par le juge en chef Lamer, tant pour les motifs avancés par le juge en chef lui‑même que pour ceux qu’a invoqués la juge McLachlin. Il a affirmé que le droit de mourir avec dignité devrait être protégé par l’article 7 de la Charte et que les malades en phase terminale devraient pouvoir obtenir de l’aide pour mettre fin à leur vie.

3. Autres affaires soumises aux tribunaux canadiens
[...]
Plus récemment, on a porté des accusations d’aide au suicide en Colombie-Britannique et au Québec. Le 5 novembre 2004, un tribunal de la Colombie-Britannique a acquitté Evelyn Martens, 73 ans, d’accusations d’avoir aidé et encouragé deux femmes à se suicider en 2002. Mme Martens était membre active de la Right to Die Society of Canada, avait fait parvenir de la documentation aux deux femmes et aurait apparemment admis avoir été présente au moment de leur décès.

Le 28 septembre 2004, Marielle Houle a été accusée d’avoir aidé et encouragé son fils de 36 ans, un auteur dramatique bien connu, à se suicider. Quatre jours après avoir déposé un plaidoyer de culpabilité, le 23 janvier 2006, Mme Houle a été condamnée à trois ans de probation sous conditions. Son avocat avait allégué qu’une peine d’un an avec sursis serait suffisante; son adversaire de la Couronne avait insisté sur la gravité de l’infraction, sans toutefois se prononcer sur la peine à imposer dans les circonstances.

Le juge de la Cour supérieure a souligné dès le départ qu’il fallait prendre en compte les circonstances particulières de l’affaire et que la peine imposée à Mme Houle ne devait pas servir de modèle dans d’autres cas. Il a précisé qu’il n’appartenait pas à la Cour de légiférer sur la question de l’aide au suicide ni de formuler une opinion sur les dispositions législatives en la matière; c’est aux législateurs d’établir la loi et aux citoyens d’élire les législateurs. Pour ce qui a trait au crime commis par Mme Houle, il a fait observer que, compte tenu des circonstances particulières de cette affaire, les risques de récidive étaient inexistants et que, Mme Houle ne représentant pas une menace pour la société, il n’y avait aucune raison de l’incarcérer. Le juge a ajouté que l’incarcération n’aurait pas nécessairement un effet dissuasif sur les personnes qui envisageraient de commettre le même crime puisqu’il est bien connu que cette mesure ne constitue pas un moyen de dissuasion efficace.

En juillet 2005, André Bergeron a été accusé de tentative de meurtre sur la personne de sa conjointe, Marielle Gagnon, chez qui on avait diagnostiqué les symptômes de l’ataxie de Friedreich (une maladie dégénérative qui s’attaque principalement au système nerveux) 25 ans auparavant. M. Bergeron avait prévenu les autorités après avoir tenté d’asphyxier Mme Gagnon avec un sac de plastique. Celle-ci était inconsciente lorsqu’on l’a transportée à l’hôpital, où elle est décédée trois jours plus tard. Des voisins ont raconté aux médias que Mme Gagnon avait demandé à M. Bergeron de ne pas la ranimer ou de ne laisser personne la ranimer en cas d’arrêt cardiaque. Au mois de février 2006, l’avocat de M. Bergeron a déclaré que l’accusation de tentative de meurtre déposée contre son client devrait être remplacée par une accusation d’aide au suicide.

Mesures parlementaires

[...]
En décembre 1992, le député Svend Robinson (Burnaby-Kingsway) a déposé à la Chambre des communes un projet de loi d’initiative parlementaire ayant pour objet de permettre le suicide réalisé avec l’aide d’un médecin.

Trois mois plus tard, soit en mars 1993, la Chambre des communes a rejeté une motion déposée par le député Ian Waddell (Port Moody-Coquitlam), qui demandait au gouvernement d’envisager de présenter un projet loi sur l’euthanasie.

En février 1994, M. Robinson a présenté un autre projet de loi d’initiative parlementaire afin de légaliser le suicide réalisé avec l’aide d’un médecin pour les malades en phase terminale. Le projet de loi de a fait l’objet d’un débat et a été rayé du Feuilleton.

Le 23 février 1994, le Sénat a adopté une motion visant à créer un comité spécial chargé d’examiner les dimensions juridiques, sociales et éthiques de l’euthanasie et du suicide assisté et d’en faire rapport. Le Comité spécial a publié son rapport, intitulé De la vie et de la mort, en juin 1995.

Le 4 novembre 1997, M. Robinson a déposé la motion M‑123 pour demander la création d’un comité spécial chargé d’examiner les dispositions du Code criminel touchant l’euthanasie et l’aide médicale au suicide et de préparer un projet de loi. Le 25 mars 1998, la motion a été rejetée par un vote fortement majoritaire.

En novembre 1999, un sous-comité sénatorial a été institué pour voir si les recommandations unanimes faites dans le rapport du Comité intitulé De la vie et de la mort faisaient encore l’unanimité, cinq ans après sa publication. Dans son rapport, présenté en juin 2000 et intitulé Des soins de fin de vie de qualité : chaque Canadien et Canadienne y a droit, le sous-comité concluait à « une évolution trop lente des principes, des compétences et de l’infrastructure médicale nécessaires pour soigner les gens en phase terminale » (p. 3).

Le 15 juin 2005, la députée Francine Lalonde (La Pointe-de-l’Île) présentait le projet de loi C-407, Loi modifiant le Code criminel (droit de mourir dignement), lequel avait été inscrit à l’ordre de priorité le 17 juin 2005 et s’était vu accorder une heure de débat, le 31 octobre 2005. Le projet de loi devait faire l’objet d’un vote en décembre 2005, qui n’a cependant jamais eu lieu en raison de la dissolution du Parlement et de la convocation d’une élection fédérale. Cette mesure législative aurait modifié les articles 14 (Consentement à la mort), 222 ( Homicide) et 241 (Fait de conseiller le suicide ou d’y aider) du Code criminel de manière à ce que, sous réserve de certaines conditions, il soit établi que quiconque aide une personne à mourir dignement ne commet pas un homicide ni ne conseille ou aide la personne à se suicider. Elle posait cependant comme conditions que la personne en question :

soit âgée d’au moins dix-huit ans;
éprouve « des douleurs physiques ou mentales aiguës sans perspective de soulagement », ou soit atteinte d’une maladie en phase terminale;
ait remis, alors qu’elle était apparemment lucide, deux demandes à plus de dix jours d’intervalle indiquant expressément son désir libre et éclairé de mourir;
ait désigné par écrit une personne pour agir en son nom « auprès de la personne aidante ou de tout médecin » alors qu’elle n’est apparemment pas lucide.
Le projet de loi posait aussi comme conditions que la personne aidante :

soit médecin ou assistée d’un médecin;
ait reçu confirmation du diagnostic de la part d’un médecin (si la personne aidante est elle-même médecin) ou de deux médecins;
soit autorisée par le droit ou soit assistée par une équipe autorisée par le droit à prodiguer des soins de santé;
agisse selon les modalités indiquées par la personne qui veut mourir;
remette au coroner une copie du ou des diagnostics posés par le ou les médecins.
Mme Lalonde aurait exprimé l’intention de présenter de nouveau son projet de loi au cours de la 39e législature.

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-15

Notes

Source :
«L'euthanasie et l'aide au suicide au Canada»
91-9F
Rédaction :
Mollie Dunsmuir, Marlisa Tiedemann
Division du droit et du gouvernement
Révisé le 23 février 2006
www.parl.gc.va/information/
library/prbpubs/919-f.htm
(Extraits)
* La première version de ce bulletin d’actualité, intitulé à l’origine L’euthanasie et l’aide au suicide, a été publiée en février 1992. Le document a été périodiquement mis à jour depuis. Cette dernière version porte uniquement sur la situation au Canada; s’y ajoutera bientôt un autre document, ayant pour titre L’euthanasie et l’aide au suicide : la situation ailleurs dans le monde.
Les parties, qui concernent uniquement l'euthanasie, se trouvent dans le dossier «L'euthanasie au Canada»