L'oeuvre d'Eugène Ionesco (1909-1994) met à nu le caractère nu et insensé de l'existence humaine. À partir de 1960, il aborde plus explicitement la solitude de l'homme devant la mort. En 1962, alors qu'il atteint la cinquantaine, il tombe malade et craint de mourir. Pour apprivoiser la mort, il écrit en l'espace d'un mois Le Roi se meurt, une tragi-comédie qualifiée par plusieurs critiques comme son chef-d'oeuvre.
Ionesco crée le personnage de Bérenger, son alter ego et héros malgré lui. Dans Le Roi se meurt, Bérenger «entre en scène, pieds nus, comme un condamné à mort, il n'est pas conscient de sa fin prochaine. De ses deux Reines et épouses, Marie - la Dame de coeur - tente d'opposer la force de l'amour à la marche du temps; elle cherche à protéger Bérenger. Mais Marguerite - la Dame de pique - symbole de la conscience lucide, rythme rigoureusement le comte à rebours final. C'est elle qui annonce à Bérenger: "Tu vas mourir dans une heure et demie; tu vas mourir à la fin du spectacle". Mis en face de l'inévitable, Bérenger franchit d'abord tous les stades de la révolte. Il est vieux, il a trois cents ans, mais il n'est pas encore prêt à mourir. La mort est en effet un scandale pour l'homme moderne, qui ne dispose d'aucune consolation philosophique ou religieuse pour l'aider à renoncer au monde. Mais la représentation poursuit sa démarche inexorable vers le dénouement et Bérenger doit se détacher de son univers, couche par couche, jusqu'au dépouillement ultime. C'est avec un vibrant lyrisme qu'il fait son deuil, d'abord, de ses réalisations passées - et elles furent grandes -, puis des menus plaisirs de la vie - qui font de l'existence une féerie continuelle - et enfin, de ce qui lui est le plus cher: l'amour, et les êtres de son entourage. Maintenant Bérenger est seul, maintenant il est prêt: il franchit la passerelle qui le mène au trône du néant. Le cérémonial est terminé. Dans le théâtre, il ne reste plus que nous, les vivants.» (Jean-Luc Denis, «Le Roi se meurt: un hymne à la vie», dans Le Roi se meurt, Montréal, Le Théâtre du Nouveau Monde, 1988, programme)