L'Encyclopédie sur la mort


Je t'aime, je t'aime

Film d'Alain Renais (1968) avec Claude Rich (Claude Ridder), Olga Georges-Picot (Catrine), Anouk Ferjac (Wiana), Van Doude (Le patron du centre de recherche), Alain Mac Moy (Le savant qui recrute Ridder), Carla Marlier (Nicole), Bernard Fresson (L'ami). 1h31.

Genre: science-fiction et drame sentimentale

Résumé

«Dans une clinique, Claude Ridder se débat entre la vie et la mort à la suite d'une tentative de suicide. Un mystérieux personnage s'intéresse à son cas. Dès sa sortie de clinique, on lui propose d'aller dans un centre de recherches afin de devenir le sujet d'une expérience sans précédent que les savants s'apprêtent à réaliser dans le plus grand secret : un voyage dans le temps d'une durée de une minute.

Claude accepte. On le prépare médicalement puis il est enfermé dans une sphère. L'expérience réussit et Claude se retrouve une année auparavant, à l'instant exact prévu par les savants, sur une plage de la Méditerranée avec sa femme Catrine. C'est une période de bonheur : ils s'aiment et plaisantent ensemble. Pour mettre fin à l'expérience, Claude doit retourner quatre minutes dans la machine. Mais bien avant que ce temps ne soit écoulé, il replonge dans son passé. Les savants s'inquiètent. Le mécanisme ne fonctionne plus. Impossible de le faire revenir dans le présent. La mémoire de Claude lui fait revivre plusieurs fois de suite ce même épisode puis d'autres plus anciens ou plus proches comme les éléments d'un puzzle. Ses rapports avec sa femme se dessinent mieux. Leurs caractères également. Claude ne peut arracher Catrine à une vision pessimiste des choses. Catrine est morte asphyxiée. Mais est-ce un suicide, un meurtre, ou un accident ?

Revenant à lui-même, Claude cherche désespérément à sortir de la sphère. Il se retrouve dans le présent, sur la pelouse du centre de recherche. Mais les savants ne pourront rien faire pour le sauver.

Une tragique histoire d'amour
Claude ne peut arracher Catrine à une vision pessimiste des choses. Malgré sa légèreté son goût de vivre son détachement de toute forme de croyance, il ne peut empêcher de sombrer celle qu'il a justement choisie comme un défi. Aussi détaché qu'elle de la réalité des choses, il devrait nager perpétuellement pour la ramener aux rives du bonheur. Mais, lui comme elle finiront noyés. Ce thème est figuré par l'épisode des deux nageurs noyés et par l'image totalement détachée de toute référence à l'histoire de Claude où il est dans la mer en chemise.

On en trouve aussi bien sur l'écho dans la célèbre description de Catrine par Claude sur la plage normande :«Toi, tu es étale, tu es un marécage, de la nuit, de la boue. Lugubre, tu donnes envie de se laisser couler en toi lentement mais à pic.. Tu sens la marée basse, la noyade, la pieuvre.»

Prisonnier du passé
Resnais confronte toujours le passé au présent et Gilles Deleuze avait bien raison de trouver la structure du film assez simple :

"Malgré l'appareil de science-fiction, Je t'aime, je t'aime est le film de Resnais où la figure du temps est la plus simple, parce que la mémoire y concerne un seul personnage. La machine mémoire ne consiste pas à se souvenir, mais à revivre un instant du passé. Seulement, ce qui est possible pour l'animal, pour la souris, ne l'est pas pour l'homme. L'instant passé pour l'homme est comme un point brillant qui appartient à une nappe, et ne peut en être détaché. Instant ambigu, il participe même de deux nappes, l'amour pour Catrine et le déclin de cet amour. Si bien que le héros ne pourra revivre qu'en parcourant à nouveau ces nappes, et en en parcourant dès lors beaucoup d'autres (avant qu'il connut Catrine, après la mort de Catrine…). Toutes sortes de régions sont ainsi brassées dans la mémoire d'un homme qui saute de l'une à l'autre, et semblent émerger tour à tour du marécage originel, universel clapotement incarné par la nature éternelle de Catrine "»

Texte intégral:
http://www.cineclubdecaen.com/realisat/resnais/jetaimejetaime.htm

«Je t’aime, je t’aime fut l’occasion pour Resnais de travailler avec le grand écrivain belge Jacques Sternberg, polémiste hors pair (je vous recommande sa Lettre ouverte aux terriens), romancier de grand talent hanté par l’absurdité du quotidien (Un jour ouvrable…) et spécialiste de l’humour noir. Si ses romans sont toujours très stimulants, force est de constater que c’est dans la forme courte qu’excelle Sternberg. Ses contes désenchantés et lapidaires sont des merveilles d’humour glacial et de lucidité désespérée (188 contes à régler…). C’est donc au nouvelliste qu’a fait appel Resnais puisque Je t’aime, je t’aime est composé essentiellement de fragments disparates (les souvenirs désordonnés de Claude), courtes unités que Sternberg a composées et que Resnais s’est chargé d’inscrire dans une architecture originale et complexe.

[...]

De la même manière, le cinéaste brouille encore plus les pistes en intégrant dans ce perpétuel va-et-vient de la mémoire des éléments oniriques (la fille nue dans une baignoire) qui ancre Je t’aime, je t’aime dans le terreau du surréalisme belge et de sa familière étrangeté (l’un des principaux éléments du décor de Claude et Catherine est une reproduction d’une toile de Magritte).

[...]

Je t’aime, je t’aime ou comment Orphée* est redescendu une fois de plus aux Enfers (de la mémoire) pour retrouver en vain son Eurydice…»

Texte intégral:
Vincent Roussel, «Je t'aime, je t'aime de Alain RESNAIS »
www.arkepix.com/kinok/DVD/RESNAIS_Alain/dvd_jetaimejetaime.html
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

Notes

À consulter dans la présente Encyclopédie les textes:

«L'instinct de mort*» par Sigmund Freud* document associé au dossier Thanatos et Hypnos.

«Sonnet à Orphée*» par Rainer Maria Rilke*