L'Encyclopédie sur la mort


Héraclite: Thanatos et Hypnos (Fragment DK 21)

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Nous présentons le texte grec du fragment 21 selon la numérotation de H. Diels et W. Kranz (D K) dans Die Fragmente der Vorsocratiken (Les fragments des présocratiques), Zurich 1974 (1912), suivi de quelques traductions du grec en français et anglais. Puis, nous résumons les commentaires de quelques auteurs.





Texte grec:
Thanatos
éstin okosa egerthéntes orèomen, okosa dè eûdontes üpnos.

Diverses traductions en français:

Mort
est tout ce que nous voyons, éveillés, et tout ce que nous voyons en dormant, sommeil. (Conche, 361)

Mort, les choses que nous voyons, éveillés; celles que nous voyons en dormant, sommeil. (Bollack-Wismann, 110)

C'est la mort, tout ce que nous voyons réveillés; et tout ce que nous voyons endormis c'est le sommeil. (Ramnoux, 36)

La mort est tout ce que nous voyons lorsque nous sommes éveillés, et le sommeil tout ce que nous voyons lorsque nous dormons. (Pradeau, 177)

Mort, c'est ce que nous voyons éveillés, sommeil, ce que nous voyons en dormant. (Jeannière, 108)

Tout ce que nous voyons éveillés est mort, tout ce que nous voyons endormis est sommeil. (Weil)

Traductions en anglais:

Death
is all things we see awake; all we see sleep is sleep (Kahn, 68)

All the things we see when awake are death, even as all we see in slumber are sleep. (Philoctetes)

Contexte
C'est grâce à Clément d'Alexandrie que ce fragment vit encore, car il le cite dans Stromates III, 21, 1. Clément commence d'abord par citer Platon: «Dès le début, l'existence est dure pour tout vivant: il faut d'abord passer par l'état d'embryon, ensuite il faut naître, puis être nourri et élevé, et tout cela ne va pas sans peines innombrables.» Après cette citation, Clément ajoute: «Héraclite appelle la naissance mort, comme le font Pythagore ou Socrate dans le Gorgias lorsqu'il dit : «La mort est tout ce que nous voyons lorsque nous sommes éveillés, et le sommeil tout ce que nous voyons lorsque nous dormons» (Pradeau, 176-177).

Commentaires
Héraclite condamne ici la cécité des hommes qui ne voient pas ce qu'est la vie. Tout comme on ne voit rien en dormant (rien que le sommeil), on ne voit rien en vivant comme des morts, obsédés par la vaine gloire, la satisfaction des désirs (Pradeau, 302).

Les sens, la vue en particulier, ne nous montrent que toutes les choses périssables vouées à la mort. Ils ne nous montrent que des êtres fugitifs marqués du signe de la mort. Ce que nous voyons dans le sommeil sont des phénomènes relatifs à l'état de dormeurs. Ils n'ont aucune réalité par eux-mêmes et ne révèlent, d'aucune manière, la réalité extérieure. Ce n'est que, éveillés au maximum, que nous voyons, grâce à notre intelligence, le toujours vivant, le changement, le mouvement, la vie. (Conche, 361-362)

Qu'on veille ou qu'on dorme, les valeurs diurnes sont effacés au profit des valeurs nocturnes. Le texte du fragment est encadré entre deux puissances redoutables : Thanatos et Hypnos. La vision dans le sommeil est communément appelée songe, c'est une vision trompeuse, mensonge. Voir avec les yeux, écouter avec les oreilles ne profite pas et peut nous tromper, s'il manque la présence de l'esprit en éveil. Il faut savoir écouter avec les oreilles et regarder avec les yeux et avec une intelligence capable d'entendre le sens. L'intelligence nous fait découvrir que la vie est nécessairement liée à la mort et vice versa (Ramnoux, 37-41).

Bibliographie
Bernard, J.-P., L’univers d’Héraclite, Belin, « L’extrême contemporain », 1998; Bollack, J. et H. Wismann, Héraclite ou la séparation, Paris, Les Éditons de Minuit, « Le sens commun », 1972 ; Conche, M., Héraclite. Fragments, Texte établi, traduit et commenté par Marcel Conche, Paris, PUF, «Épiméthée », 1986; A. Jeannière, La pensée d’Héraclite d’Éphèse et la vision présocratique du monde, Paris, Montaigne-Aubier, 1959 ; C. H. Kahn, The Art and Tought of Heraclitus. An Edition of the Fragments with Translation and Commentary, Cambridge University Press, 1981 ; Pradeau, J.-F., Héraclite, Fragments (Citations et témoignages), traduction et présentation par J.-F. Pradeau, Paris, GF Flammarion, 2002 ; Ramnoux, C., Héraclite ou l’homme entre les choses et les mots, Paris, Les Belles Lettres, 1968; É. Volant, «Héraclite ou le jeu tragique du temps en perpétuel devenir» dans P. St-Germain et G. Ménard (dir.), Des jeux et des rites, Montréal, Liber, 2008, p.121-131.


Consulter textes grec, français et anglais des fragments : www.philoctetes.free.fr
Consulter la traduction des fragments en français de Simone Weil sur le site de l'Agora, «Héraclite»:
http://agora.qc.ca

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«Hypnos et Thanatos», Ancient Greek Art: www.theoi.com




















Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-18