L'Encyclopédie sur la mort


Heidegger Martin

Martin Heidegger (1889-1976), philosophe allemand né à Messkirch (Bade).

Dossier sur le philosophe allemand (1889-1976) dans l'encyclopédie de l'Agora:
agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Heidegger

Présentation historico-encyclopédique du philosophe allemand:
www.memo.fr/article.asp?ID=per_con_002 -

Heidegger Martin «Der Tod ist die Möglichkeit der schlechtinnigen Daseinunmöglichkeit» (Heidegger, Sein und Zeit, &50)
«La mort est la possibilité de l'impossibilité pure et simple pour le Dasein».

Note préalable
En allemand, Dasein est synonyme d'existence, comme dans «Je suis heureux de mon existence». Littéralement, le verbe dasein signifie «être-là». Cependant chez Heidegger, le mot Dasein indique un rapport avec le temps et pourrait être traduit par «l'être étant présent» par opposition à l'«être-soi».

Commentaires

Jacques Derrida

Heidegger ne dit pas la possibilité de ne plus pouvoir être Dasein mais la possibilité de pouvoir ne plus être là ou de ne plus pouvoir être là. C'est bien la possibilité d'un pouvoir-ne-pas ou d'un ne-plus-pouvoir, mais nullement l'impossibilité d'un pouvoir. La nuance est presque inconsistante qui me paraît à la fois décisive et significative; elle compte sans doute de façon essentielle aux yeux de Heidegger. La possibilité la plus propre du Dasein, à savoir la mort, est la possibilité d'un pouvoir ne-plus-être-là ou d'un ne-plus-pouvoir-être là comme Dasein. Et de cela le Dasein est absolument certain, il peut en témoigner comme d'une vérité unique et à nulle autre comparable. Cette vérité, il peut la fuir inauthentiquement (improprement) ou l'approcher authentiquement, s'y attendant alors proprement, dans l'angoisse et dans la liberté. S'y attendant, c'est-à-dire s'attendant à la mort, et s'y attendant lui-même:

«En tant que pouvoir être, le Dasein, enchaîne Heidegger, ne peut pas dépasser la possibilité de la mort. La mort est la possibilité de la pure et simple impossibilité du Dasein.» (Sein und Zeit, & 50)

Source: Apories, Paris, Galilée, 1996, p. 121-122.

Hervé Pasqua
De même que le fruit mûr est arrivé à terme, de même la mort conduit le Dasein à son achèvement. Mais la mort n'est pas au bout du chemin, elle n'est pas le terme de la vie, comme quelque chose arrivant de l'extérieur. La mort fait partie du Dasein. C'est pourquoi quand Heidegger écrit paradoxalement: «finir ne signifie pas nécessairement s'achever», il veut dire que le Dasein ne finit pas avec la mort comme le pain finit une fois consommée, ou comme la pluie finit en disparaissant: c'est la mort qui finit au sens actif le Dasein. Elle est sa manière d'être assumée aussitôt qu'il est: «si tôt qu'un homme vient à la vie, dit le poète, il est tout de suite assez vieux pour mourir». Ek-sister, pour le Dasein, c'est sortir de soi, s'exténuer et aller vers la fin. [...] , on ne peut pas parler d'un Dasein mort, mais d'un Dasein mourant.

[...]

Le Dasein enferme en lui, comme inscrit dans son être, la possibilité de mourir. C'est sa possibilité la plus radicale, elle est indépassable:

«La mort est la possibilité de la pure et simple impossibilité du Dasein».

[...]

Dès que le Dasein ek-siste, il est projeté dans la possibilité de la mort. Il est livré à la mort, parce que projeté en avant, hors de soi, vers le monde. [...], l'angoisse devant la mort ne doit pas être confondue avec la peur devant le décès [...] . L'angoisse n'est pas la fuite devant la mort, mais affrontement de la possibilité de notre propre impossibilité:

«elle n'est pas une quelconque et fortuite disposition de "faiblesse" chez l'individu; au contraire, en tant qu'affection fondamentale (Befindlichkheit), elle est cette ouverture selon laquelle le Dasein existe en tant qu'être jeté vers la fin.»

Être pour le Dasein est pouvoir-être. Il est pur projection de ses propres possibilités, [...] Or, parmi ses possibilités, il en est une, la mort, sa possibilité la plus intime car elle atteint son être. Cette possibilité annule toutes les autres par ce qu'elle est la possibilité d'une impossibilité de tout le Dasein. Devant cette issue fatale, le reflexe du Dasein est de fuir, de ne pas s'affronter soi-même, pour éviter de se voir tel qu'il est dans son ipséité.

[...]

Heidegger excelle à décrire cette fuite du Dasein devant la mort. [...] Cette fuite transcrit dans la vie quotidienne le dévalement, la déchéance de l'être authentique du Dasein qui cesse de lui être propre, d'être à soi, pour exister en sombrant dans la mort. «L'être vers la mort quotidien est, en tant que dévalant, une constante fuite devant elle.» La mort au quotidien de l'existence authentique nécessite donc une interprétation plus approfondie de l'être vers la mort du mourant.

[...]

La mort est une possibilité dont la caractéristique est d'annuler toutes les autres, et le Dasein lui-même, en se réalisant. D'où la réaction du Dasein à maintenir le plus longtemps le possible comme possible. Il s'obstine de mourir et vit en mourant, car tant qu'il meurt, il n'est pas mort.

Source: Hervé Pasqua, Introduction à la lecture de L'Être et le Temps de Martin Heidegger, L'Âge de l'Homme, 1993.










Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-12

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