Jean Genet, né à Paris, 19 décembre 1910 et décédé le 15 avril 1986, est un écrivain, poète et auteur dramatique français. Fils d'un père inconnu et abandonné par sa mère dès sa naissance, Genet autodidacte construit son parcours littéraire à la recherche de son identité. Son écriture jaillit du vide d'une existence débutée sans nom, du néant dans lequel le jette la passion de ses rites homosexuels*. Il se sent contraint d'une obsession de « tout dire » de son enfance et de son enfermement, de la désolation du mal qu'il a rencontré dans la chair déchirée des autres et de la sienne propre. Troublé par le mal et par la mort, Genet édifie une scène macabre pour troubler le lecteur en jetant sur un papier comme sur un tombeau des mots provocants et obscènes.
Il écrit pour révéler et célébrer les noms (le masque, la personnalité) de ses amis sans nom, pour accorder à ses amants et ses anciens compagnons de bagne une mort « glorieuse », qu'ils s'appellent Maurice Pilorge, Jean Decarnin, Harcamone (un « dalaï-lama invisible » ou une « rose dans tout son éclat »), Bulkaen (« un ange lumineux »), le prévôt Divers (traître «devenu son époux»). « Et leur nom troublera, écrit-il, comme la lumière nous trouble qui arrive d’une étoile morte il y a mille ans », écrit-il dans Miracle de la Rose, publié en 1946.
Pompes funèbres, publié anonymement en 1947 et édité chez Gallimard en1953, est dédié à Jean Decarnin, abattu par les Allemands le 19 août 1949. On peut lire cette oeuvre complexe comme l'expression de la fascination du jeune Genet pour Hitler* et pour le culte du corps* et de la virilité, pour la violence et l'érotisme de la milice nazie, ou encore comme la description détaillée de perversions sexuelles. (Patrick Buisson, 1940-1945: Années Erotiques, Vichy ou les infortunes de la vertu, Paris, Albin Michel, 2008). Il nous semble plus juste et plus pertinent, tant au plan de la créativité littéraire que du point de vue de la subjectivité existentielle de l'auteur, de comprendre son oeuvre en fonction des rapports que l'écriture de Genet entretient avec la mort afin de survivre ou, plus précisément, de suivre à la trace son obsession de mettre sa vie, son corps et son oeuvre à l'abri de la mort:
« L'artiste accouche d'une oeuvre. Jean Genet, lui, est mis au monde par son oeuvre. Pompes funèbres est le livre de sa genèse et concentre tous les procédés qui aboutissent à cette inversion. Refusant l'inexplorable déchéance du corps, Genet l'anticipe. [...] L'écrivain fait revivre aux signes, aux mots, la décomposition du corps mort. [...] Jean Genet élabore une mythologie du corps absolument singulière dont l'originalité tient à l'acharnement qu'il met à poser l'instabilité identitaire comme préalable à toute recherche d'identité. » ( Esperanza Diez Guijarro, « Corps et deuil dans Pompes funèbres de Jean Genet » dans Claude Fintz, dir., Les imaginaires du corps pour une approche interdisciplinaire du corps, Paris, L'Harmattan, 2000, tome I, 148-174)
C'est sans doute dans « Le funambule », émouvant poème en prose, dédié à Abdallah, son amant équilibriste, que Genet écrit ses pages les plus sublimes sur la mort. La Mort dont il livre les secrets est avant tout celle de la « solitude absolue », indispensable à l'accomplissement de toute oeuvre d'art, une Mort symbolique qui précédera la mort physique, « ce bloc d'absence que tu vas devenir »). C'est avant de danser sur le fil que le funambule doit mourir:
« La Mort - la Mort dont je te parle - n'est pas celle qui suivra ta chute, mais celle qui précède ton apparition sur le fil. C'est avant de l'escalader que tu meurs. Celui qui dansera sera mort - décidé à toutes les beautés, capable de toutes. Quand tu apparaîtras [...] une pâleur va te recouvrir. Malgré ton fard et tes paillettes tu seras blême, ton âme livide. C'est alors que ta précision sera parfaite. Plus rien ne te rattachant au sol tu pourras danser sans tomber. Mais veille de mourir avant que d'apparaître, et qu'un mort danse sur le fil.
Et ta blessure, où est-elle? [...]
C'est dans cette blessure - inguérissable puisqu'elle est lui-même - et dans cette solitude qu'il doit se précipiter, c'est là qu'il pourra découvrir la force, l'audace et l'adresse nécessaires à son art.
Je te demande un peu d'attention. Vois: afin de mieux te livrer à la Mort, faire qu'elle t'habite avec la plus rigoureuse exactitude, il faudra te garder en parfaite santé. Le moindre malaise te restituerait à notre vie. Il serait cassé, ce bloc d'absence que tu vas devenir. [...]
J'ajoute pourtant que tu dois risquer une mort physique. La dramaturgie du Cirque l'exige. Il est, avec la poésie, la guerre, la corrida, un des seuls jeux cruels qui subsistent. Le danger a sa raison: il obligera tes muscles à réussir une parfaite exactitude - la moindre erreur causant ta chute, avec les infirmités ou la mort - et cette exactitude sera la beauté de ta danse, Raisonne de la sorte: un lourdaud, sur le fil fait le saut périlleux, il le loupe et se tue, le public n'est pas trop surpris, il s'y attendait, il l'espérait presque. Toi, il faut que tu saches danser d'une façon si belle, avoir des gestes si purs afin d'apparaître précieux et rare, ainsi, quand tu te prépareras à faire le saut périlleux le public s'inquiétera, s'indignera presque qu'un être si gracieux risque la mort. Mais tu réussis le saut et reviens sur le fil, alors que les spectateurs acclament car ton adresse vient de préserver d'une mort impudique un très précieux danseur » (« Le funambule » dans Le condamné à mort et autres poèmes suivis de Le funambule, Paris, Gallimard, «Poésie», 1999, p. 110-114).
Bibliographie
Paola del Castillo, « Jean Genet, "Le poète engagé". Le père inconnu et le fils bâtard » dans L'absence en héritage. Ces hommes célèbres qui n'ont pas connu leur père, Paris, Dervy, 2010, p. 57- 82.
Extrait: « Le père de genet, c'est le trou noir, le grand vide, il reste le grand inconnu, le "X" sans nom, l'homme non nommé. Pour Jean Genet, cette absence de référence et d'image paternelle n'est pas facile, surtout à une époque où la légitimité des enfants est gage de la bonne moralité et de la respectabilité des familles. [...] Plus tard, en quête d'informations familiales, Genet fera le chemin de retour jusqu'à la maternité où sa mère avait accouché de lui. Il se verra refuser l'accès au dossier de sa naissance. On imagine sa déception, son désarroi... » (p.58- 59).
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Photo de Jean Genet
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© Éric Volant
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