L'Encyclopédie sur la mort


Espinasse Julie de l'

 

LespinasseFille illégitime du comte Gaspard de Vichy, Julie de Lespinasse, née à Lyon le 9 novembre 1732, fut élevée par sa mère qui, à la veille de sa mort, la confia au comte et à la comtesse de Vichy, qui est soeur naturelle de Julie. Celle-ci est mal à l'aise dans ce foyer. En 1754, elle devint la dame de compagnie de Mme du Deffand, sa tante naturelle, qui l'introduisit comme lectrice dans son salon. Le trop grand succès de sa protégée auprès de ses hôtes illustres semble avoir inciter Mme du Deffand à donner congé à sa nièce en 1763. Julie ouvrit alors, rue de Bellechasse, son propre salon qui, visité par d'Alembert, Condillac, Marmontel, Condorcet et Turgot, devint bientôt un lieu incontournable pour les encyclopédistes. Tour en étant la compagne d'un Alembert fidèle et attaché, lui aussi enfant illégitime, Julie connut des liaisons passionnées avec le marquis de Mora et le marquis de Guibert. Le décès du premier et le mariage du second conduira Julie au désespoir et au désir de mourir:

«J’ai souffert, j’ai haï la vie, j’ai invoqué la mort [...] oh ; qu’elle vienne ; et je fais serment de ne pas lui donner le dégoût et de la recevoir au contraire comme une libératrice.»

Julie est décédée le 22 mai 1776. Sur son lit de mort, elle aurait demandé : « suis-je encore en vie ? ».

Selon Alain Buisine. la pratique épistolaire serait «thanatographique en son principe même». Cette «thanatographie», ou «écriture de la mort», constituerait en effet une de ses spécificités. Parce que l'on écrit à un absent, ou parce que l'on est soi-même absent lorsqu'on écrit. l'on connaîtrait par avance ce que sera la mort, cette absence définitive. Chez Julie de Lespinasse, la «thanatographie épistolaire» est continuellement active: pour celle qui disait savoir «souffrir et mourir», il s'agit tantôt de pleurer un amant (le marquis de Mora), tantôt de regretter de ne pas l'avoir suivi dans la tombe, tantôt de se dire malade, puis mourante ou désireuse de mourir. De ces trois manières de concevoir l'écriture de la mort, la troisième est étudiée par Benoît Melançon. Dans un premier temps, il tente d'établir le lien entre le discours sur le corps malade et le discours épistolaire, au point de créer le concept du«corps épistolaire». Ensuite, il institue une analyse du fonctionnement des deux principales séries épistolaires de Julie de Lespinasse, soit les lettres adressées à Guibert (1773–1776) et celles à Condorcet (1769–1776). Cette analyse permet de comprendre comment le discours sur le corps singularise chacune de ces correspondances («Du corps épistolaire. Les correspondances de Julie de Lespinasse», Orbis Litterarum, volume 51, n° 6, p. 321- 333, Wiley, InterScience, juin 2007).

Des extraits de quelques lettres révèlent le sentiment de désarroi qui habite Julie aux prises avec les désirs d'un corps, malade d'aimer et prêt à mourir.

Lettre 52, le jeudi 22 septembre 1774
«J’ai retrouvé le calme, mais je ne m’y trompe point: c’est le calme de la mort ; et dans quelque temps, si je vis, je pourrai dire comme cet homme qui vivait seul depuis trente ans, et qui n’avait lu que Plutarque; on lui demandait comment il se trouvait: mais presque aussi heureux que si j’étais mort. mon ami, voilà ma disposition: rien de ce que je vois, de ce que j’entends, ni de ce que je fais, ni de ce que j’ai à faire, ne peut animer mon âme d’un mouvement d’intérêt ;

Lettre 60, le vendredi 14 octobre 1774
«Je vous voyais, je vous avais vu, je vous attendais, cela remplissait tout; mais dans le vide où je suis tombée, dans les différents accès de désespoir qui ont agité et bouleversé mon âme, je me suis aidée de toutes mes ressources. Qu’elles sont faibles ! Qu’elles sont impuissantes contre le poison qui consume ma vie !»

 

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-12