L'Encyclopédie sur la mort


Écrire

Écrire, c'est transcrire sa douleur ou sa passion en prose. Non pas pour en être guéri, mais pour en être réconforté. Se donner des forces afin de poursuivre sa route.

Pour le moment, je tente de communiquer le plaisir que je ressens à la lecture de Et Nietzsche a pleuré de Irvin Yalom. Quelque part dans la conversation, Nietzsche dit au Dr Breuer : « Vous devez vous accepter et non pas gagner mon estime (p. 283) » . Effectivement, d'après mon expérience, s'estimer soi-même, c'est la bonne voie vers l'estime d'autrui. Un peu plus loin, Breuer affirme devant Nietzsche : « Le but suprême est bien d'être indépendant du regard d'autrui ». Le regard de l'autre peut aussi bien me tuer que me révéler son amour, m'élever vers les hauteurs que me détruire.

Toute compte fait, en me familiarisant avec le personnage de Nietzsche selon Yalom, je me suis mis à penser « éthique » et « relations humaines ». Lorsque je dis « penser », je veux signifier que je mets à l'oeuvre non seulement ma raison, mais aussi ma sensibilité. Pour employer le langage de Nietzsche, je « rumine » et je « ramone ». Voici les fruits de ces « ruminations » ou de ce « ramonage », tels qu'ils jaillissent de ma tête et de mes tripes.

J'avoue, c'est souvent une affaire de sémantique, du choix et de la justesse, de l'acceptation et de la réception des mots. En effet, je puis m'approcher de l'autre par de multiples voies. La première qui me vient à l'esprit, c'est celle de l'estime. Le verbe « estimer » a un sens - disons - « comptable » : apprécier, jauger, évaluer le poids, le prix ou la valeur d' un objet, d'un bijou, d'un meuble. Or, le collier en or de ma mère n'a pas surtout une valeur marchande; à mes yeux, il a, avant tout, une valeur affective ou sentimentale. Le prix que j'accorde à ce collier correspond à l'amour que je porte encore toujours à feue ma mère. Bien au-delà de son prix monétaire et négociable, ce collier a une valeur immatérielle et non négociable. Il est devenu pour moi un objet sacré.

Estimer une personne, c'est l'apprécier pour sa valeur immatérielle. Outre son apparence physique, silhouette attrayante ou personnalité attachante, j'apprend à connaître les qualités, les potentialités, mais aussi les limites et les faiblesses de cette personne. Dans un deuxième temps, je l'estime en vertu des forces que j'ai pu investir ou que je suis prêt à investir en elle, en vertu des liens de famille ou d'amitié, de travail ou même de fraternité universelle qui nous unissent. Lui ou elle deviennent importants à mes yeux, ils n'ont plus de prix, leur valeur est inestimable. De l'approche comptable, nous sommes passés progressivement à une approche que j'oserais appeler provisoirement « esthétique ».

À l'encontre de l'estime d'autrui se situent la mésestime ou la dépréciation d'autrui. Je puis me tromper, méconnaître l'autre ou mesurer mal ses qualités et ses limites, je puis sous-estimer ses forces, ne pas être en mesure de trouver ce qui est « beau » en lui et ce qui, occulté par des possibles laideurs, ne parvient pas à se révéler à moi. La méprise peut me conduire au mépris, le mépris peut me mener à la haine. Même si je ne réussis pas à l'estimer à sa juste valeur, je devrai au moins avoir la décence de ne pas lui nuire ni le blesser volontairement ou délibérément. Si je ne puis pas le « sentir », encore moins le désirer, serai-je quand même capable d'être « bon » pour lui ou de l'aider, au besoin?

Avec la volonté bonne, vouloir et faire le bien d'autrui, on s'approche de l'éthique que l'on peut définir comme l'art de mener une vie bonne et de faire le juste.

Une vie bonne! Vivre en accord avec sa conscience et en harmonie avec son être profond. S'épanouir en développant ses potentialités en toute liberté. Goûter avec reconnaissance les plaisir de l'existence en les partageant avec autrui. Assumer les joies et les peines de la vie en compatissant avec les souffrances d'autrui. L'art de bien vivre suppose le « vivre ensemble », la convivialité sans perdre son autonomie. Situer notre petite vie à l'intérieur de la nature en s'associant à tous les vivants, aux êtres et aux choses. Négocier une petite place à notre être fragile dans le silence éternel de l'immensité des espaces infinis qui nous entourent.

Faire le juste! C'est d'abord de respecter ses droits et les droits d'autrui. Notre devoir est de travailler, dans la mesure de nos possibilités, à l'avènement d'une société juste. Ce qui veut dire très concrètement que nous devons exiger de nous-mêmes, de nos concitoyens et des autorités politiques de veiller à ce que les bénéfices et les fardeaux du vivre ensemble soient également partagés dans l'accès universel à l'alimentation, à l'éducation, à la santé, au travail et à un juste salaire. L'avènement d'une société juste n'est pas pour aujourd'hui. On s'en éloigne tous les jours davantage. Il y a encore un long chemin à faire ... La pratique éthique est encore à ses premiers balbutiements!

Quant à nous en tant qu'individus, quoi faire afin de mener une vie bonne et de faire le juste, il faut du discernement à notre esprit pour développer des perceptions, des attitudes et des comportements qui s'accordent avec justesse à une situation donnée, aux personnes impliquées, aux valeurs et aux principes en jeu.

© Éric Volant, Montréal, le 26 juin 2011

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-19