Née en 1975 à Lac-Mégantic en Estrie (Québec, Canada), Nelly Arcan, de son vrai nom Isabelle Fortier, s'est suicidée à Montréal le 23 septembre 2009. Elle s'est révélée au grand public par sa nomination aux Prix Femina et Medicis en 2002 pour son premier roman Putain édité aux Editions du Seuil. Suivront deux autres romans Folle (2004) et A ciel ouvert (2007).
Oeuvres
Paradis clef en main paru aux Éditions Coup de tête (Montréal) en 2009 a pour toile de fond une société dans laquelle le droit au suicide est officiellement reconnu pour tous. Le personnage principal paraplégique, ayant fait appel à une compagnie pour mettre fin à ses jours et ayant ainsi l'opportunité de faire le récit de sa vie, décide de poursuivre son existence. Ce roman est donc davantage un «hommage à la vie», comme le reconnaît son directeur d'édition M. Vezina. Voici la description de ce roman «posthume», fournie par la Grande Bibliothèque de Montréal:
«Une obscure compagnie organise le suicide de ses clients. Une seule condition leur est imposée : que leur désir de mourir soit incurable. Pur, absolu. Antoinette a été une candidate de Paradis, Clef en main. Elle n'en est pas morte. Désormais paraplégique, elle est branchée à une machine qui lui pompe ses substances organiques. Et Antoinette nous raconte sa vie. Elle raconte sa mère, dont elle pourrait être la copie conforme. Elle raconte Paradis, Clef en main et son processus de sélection, ses tests et ses épreuves, son chauffeur et son psychiatre halluciné, le caniche blanc qui ponctue les scènes rocambolesques, son comité de sélection. Un monde Kafkaïen. Elle nous raconte aussi son oncle Léon, dont le suicide, également organisé par Paradis, Clef en main, a fait les manchettes du monde entier. Et surtout, elle nous raconte son nouveau désir d'exister, son second souffle. Paradis, Clef en main est le cinquième livre de Nelly Arcan, qui s'aventure ici, et avec brio, dans la fiction. Roman d'anticipation, roman sur le désir de vivre, sur celui de mourir. Roman sur la responsabilité, sur le rapport à l'Autre, sur le rapport au corps, à la vie. Roman fabuleux écrit d'une plume acérée.»
Dans d'autres écrits, Nelly aborda le phénomène du suicide en montrant la complexité du problème. Ainsi, nous lisons dans article «Pour un pet» publié sur le site ICI , le 15-mai 2008:
«Si tout le monde consent à dire que le suicide est une terrible tragédie, en regard de ce qui aurait pu être vécu et accompli s’il n’avait pas eu lieu, mais aussi en regard de la souffrance engendrée, personne ne peut se résoudre à admettre que la vie de chacun appartient de droit à l’État, ou encore à la famille, encore moins aux amis. La vie est propre à celui qui la vit. Et s’il est vrai que le suicide est un legs terrible qu’il faut absolument prévenir, c’est aussi vrai que ne pas faire souffrir son entourage ne peut constituer, du moins à long terme, une raison suffisante pour vivre..
Pour vouloir vivre, pour souhaiter rester en vie, il faut un peu plus que «ne pas vouloir faire mal aux autres». En l’admettant, on peut déjà sortir de la langue de bois. On peut commencer à penser le suicide dans son intense et douloureuse complexité.»
Texte intégral:
http://fr.canoe.ca/divertissement/chroniques/nelly-arcan/2008/05/15/5577551-ici.html
Dans un autre article «Se tuer peut nuire à la santé», elle «tente de dire» dans ses mots «c’est que le phénomène du suicide a une complexité, et aussi une gravité, qui méritent l’attention de tout le monde, et les efforts de recherche dans toutes les disciplines. Ce que je tente de dire aussi, c’est que le suicide n’est pas une tumeur, ce n’est pas une tache ou un furoncle, ce n’est pas une vie en moins d’un consommateur ou d’un payeur de taxes, mais un acte, peut-être le plus radical en dehors du meurtre, par lequel l’individu indique qu’il est possible de choisir de mourir.
Si les gens se suicident en grand nombre dans nos sociétés industrialisées, ce n’est sûrement pas parce qu’elles n’ont pas prévu pour eux des barrières, ce n’est pas non plus parce qu’elles auront représenté des suicidés dans les médias…
C’est peut-être parce que (entre mille autres choses), le maternage de l’État qui organise tout à distance de la réalité quotidienne de ses citoyens vient de pair avec la dé-responsabilisation de ces mêmes citoyens face à la misère de leurs proches. Il ne faut pas oublier que les barrières les plus solides contre la détresse des gens qui nous sont chers, c’est encore vous et moi.» (P45 Magazine, le 3 mars 2004)
Texte intégral:
http://p45.ca/magazine/se-tuer-peut-nuire-a-la-sante
Folle est le récit d'une jeune québécoise qui écrit à son ex-amant, un journaliste français qui venait de la quitter:
«...sans penser que non seulement tu serais le dernier homme de ma vie, mais que tu ne serais peut-être pas là pour me voir mourir.»
«Je suppose que dans la panique de ton départ, [...], j'avais oublié qu'il ne me restait que peu de temps à vivre.»
«Le jour de mes quinze ans, j'ai pris la décision de me tuer le jour de mes trente ans....»
«Si on en veut aux gens qui se suicident, c'est parce qu'ils ont toujours le dernier mot.»
«Entre nous il n'a jamais été question de ma mort prochaine. J'ai appris que dans la vie certaines choses comme le désespoir ne se partagent pas, que c'était un fardeau qu'on devait garder sur soi.»
Commentaires sur le suicide de Nelly Arcan
Les Éditions du Seuil confirment, par voie de communiqué, le suicide de la jeune auteure québécoise Nelly Arcan:
«La jeune romancière canadienne Nelly Arcan s'est donné la mort hier à Montréal. Elle avait 34 ans. En trois livres, elle avait su imposer une des voix les plus singulières et les plus radicales d'outre-Atlantique. Son premier roman Putain, paru en 2001, brassait dans un lyrisme flamboyant tous ses thèmes de prédilection: la dictature planétaire de l'image, l'impossibilité d'un rapport innocent à soi-même, la pulsion de mort qui anime souterrainement les sociétés modernes. On évoqua Lautréamont, et l'on craignait une œuvre-météore, mais elle publia encore deux livres au Seuil (Folle, À ciel ouvert). Nelly Arcan se mettait en danger dans chaque texte. Le suicide était au cœur de son œuvre et de sa vie violente.»
On ne peut pourtant pas déduire de ses oeuvres d'auto-fiction et de fiction ni du fait qu'elle s'exprime dans ses écrits sur le phénomène du suicide que Nelly Arcan fut une personne à tendance suicidaire. Elle nous parait en premier lieu comme une femme lucide et libre dont le regard pénétrant décèle le monde des apparences sur lequel s'est bâtie la société contemporaine. Sa plume attaque avec verve la surconsommation, les relations hommes-femmes, les modèles sociaux des couples, le recours à la chirurgie esthétique qu'elle appela la «burka de la chair». Avec justesse, elle situe le suicide au coeur même de cette société marquée du style de la décadence.
Il ne faut pas confondre création littéraire et réflexion citoyenne avec vie personnelle. Une souffrance intime est sûrement à l'origine de son geste. À moins de disposer de révélations posthumes de sa part ou de témoignages crédibles de son entourage immédiat, il est préférable de respecter Nelly Arcan et le mystère qu'elle porte avec elle dans sa tombe. N'a-t-elle pas écrit: «ne pas s'aventurer dans l'inexplicable fait sans doutepartie du don de voyance»?