Selon la perspective optimiste et eschatologique de Zoroastre, la victoire finale du Bien sur le Mal consistera dans l'instauration collective du bonheur parfait sur terre.
Pour mieux comprendre comment s’organise la vision du monde de Zoroastre, il faut maintenant examiner dans leurs grandes lignes la cosmogonie et l’eschatologie qu’il propose. Le monde est le théâtre d’une lutte incessante entre le Bien et le Mal: cette conception de la vie, cette sagesse, se fonde sur une certaine vision religieuse de l’histoire, sur une mythologie de grande envergure qui offre à l’homme une image du monde et de la place qu’il doit y occuper. Évidemment, il n’est pas facile de départager la construction zoroastrienne de ses ajouts postérieurs; il me semble tout de même possible de proposer une vue d’ensemble qui soit relativement précise et fidèle à l’esprit du prophète.
Des textes probablement tardifs décrivent un début des temps assez cohérent par rapport à l’ensemble de la doctrine. À l’origine, alors que rien n’existe encore, le Temps (Zurvan) fait un sacrifice * (à l’indo-européenne!) pour se donner une progéniture, mais il se met aussitôt à douter de l’à-propos de son projet; du sacrifice naîtra l’Esprit Saint (Spenta Mainyu ou Ormazd, lequel est la première hypostase d’Ahura Mazda, sa seconde nature, son alter ego primordial) tandis que du doute naîtra l’Esprit Mauvais (Angra Mainyu ou Arhiman). Ormazd est un être de vérité et de lumière alors qu’Arhiman est un être de tromperie et de ténèbres. L’affrontement est inévitable entre eux et il occupera toute l’histoire de l’humanité, de la création à la fin des temps.
On peut réduire cette histoire à quelques grandes phases. En premier lieu, Ormazd procède à la création du monde des esprits qui aideront Ahura Mazda dans sa lutte contre le Mal; les esprits des humains sont créés à ce stade, quoiqu’ils ne semblent devenir vraiment actifs qu’à la troisième phase, donc lors de la création cosmique proprement dite. Cette création purement spirituelle du monde peut être conçue, d’une certaine façon, comme un procédé commode utilisé par Zoroastre pour poser le nouveau panthéon divin à l’origine de la création et pour présenter ce panthéon à part de tout le reste. On y retrouve principalement les grandes émanations d’Ahura Mazda, ces forces spirituelles personnifiées que nous avons déjà évoquées. Cette première phase dure trois mille ans, comme toutes les phases décrites ici, du reste.
En second lieu, la lutte proprement dite entre Ormazd et Arhiman, entre le Bien et le Mal, commence. Arhiman a fini par entrevoir la lumière diffusée par Ahura Mazda et ses Esprits, il a reconnu l’Adversaire et il se prépare au combat. C’est alors qu’Ormazd crée ou donne forme à l’espace et au temps en tant que cadre de vie concret et limité; il parvient à y enfermer Arhiman, ce qui paralyse toute initiative belliqueuse de sa part. Le Bien semble triompher mais Arhiman reste menaçant. Cette domination d’Ormazd dure donc trois mille ans.
En troisième lieu, l’activité créatrice d’Ormazd l’entraîne spontanément à créer l’univers naturel et humain que l’on connaît; sans doute le cosmos doit-il contribuer à aider Mazda dans sa lutte contre le Mal, car cette création est conçue comme fondamentalement bonne. Pourtant, les hommes sont considérés comme libres, même s’il est de leur devoir de se joindre aux forces du Bien pour lutter contre celles du Mal. Mais justement, avec la création de la nature matérielle et de l’humanité corporelle (et non plus seulement spirituelle), les assauts d’Arhiman contre le Bien trouvent enfin un objet. En effet, bien que la création soit en elle-même bonne, son caractère matériel prête flanc aux basses œuvres d’Arhiman. C’est donc à partir de la troisième phase que le Mal commence à se mêler au Bien, à l’affaiblir et à le pénétrer de toutes parts pour l’entraîner à sa perte. Ainsi s’introduisent l’imperfection, le péché et la souillure dans la création. Du même coup se pose le problème du choix des humains en faveur du Bien et contre le Mal. Mais ce choix est difficile car l’esprit humain résiste mal à l’emprise des forces du Mal. Ce combat périlleux et incertain dure à son tour trois mille ans.
En quatrième lieu commence la grande mission de Zoroastre. Grâce à son prophète et à ses zélateurs, Ahura Mazda peut entreprendre la restauration complète et définitive de sa création et assurer le triomphe du Bien sur le Mal. Ainsi peut s’établir, au bout de l’histoire, le paradis sur terre pour tous les esprits, humains ou divins. Dans cette perspective eschatologique, jamais la victoire finale du Bien sur le Mal n’est remise en doute, même au moment où la création risque d’être pervertie et dévoyée par Arhiman. Dans cette construction dualiste mais foncièrement optimiste, le monde est bon et le bonheur s’instaure sur terre après la défaite et la disparition du Mal. Il s’agit toutefois d’un optimisme militant et dynamique car la notion d’un choix moral pour le Bien domine la pensée de Zoroastre. C’est pourquoi, à la mort de chaque individu, on trouve un jugement rétributif de Mazda avec ses élus et ses damnés, ses bons et ses méchants; mais il reste que le vrai jugement, le jugement dernier, est un jugement collectif lors duquel les humains, corps et esprit, sont sauvés et connaissent le bonheur parfait sur terre. Même les individus qui avaient été damnés au moment du premier jugement (individuel) sont rachetés et rénovés au moment de ce jugement dernier (collectif).