L'Encyclopédie sur la mort


Les espaces de la mort et les morts dans l'espace

Delphine Cavallo

Pour la septième année consécutive, l’association Doc'Géo a organisé la Journée de la géographie, ouverte en priorité aux jeunes chercheurs et à une vocation pluridisciplinaire. Le thème proposé fut celui des rapports entre mort et espace. Trois axes, non exclusifs, ont été retenus : les espaces où l’on meurt, qu’ils soient choisis ou non, institutionnalisés ou non ; les morts dans l’espace : le traitement des corps et celui des espaces consacrés aux morts ; les espaces de la mort : les espaces de l’au-delà tels que définis par les différentes religions, tels que décrits dans les textes, représentés dans l’art, cartographiés. L’objectif de cette journée fut d’envisager la dimension spatiale de la mort, thématique riche de possibles analyses mais jusque là trop peu abordée dans les sciences humaines. Il s’agit d’amorcer, avec toutes les disciplines (géographie, sociologie, ethnologie, anthropologie, histoire, histoire de l’art, philosophie, médecine, biologie, éthologie…) une analyse des rapports entre mort et espace. Nous publions le communiqué intégralement, car celui-ci nous offre une problématique des rapports entre mort espace très utile aux chercheurs présents et futurs.
La définition de la mort, et celle du vivant, ont déjà à voir avec l’espace. La re-définition clinique régulière de la mort et la définition légale du vivant ont des implications spatiales, effaçant pour l’une l’idée d’une mort survenue en un instant donc en un lieu donné, et déterminant pour l’autre le traitement du corps des personnes mortes, en fonction de l’état civil qui leur a été accordé de leur vivant. Le statut social et la confession de la personne marque également un prolongement entre le monde des vivants et l’espace des morts. Les liens entre individu, Société, Religion et Etat, au regard de la mort, ont une dimension spatiale qui mérite l’analyse.

Poser la question des rapports entre mort et espace amène ainsi à s’intéresser aux espaces où l’on meurt mais également à questionner la place consacrée aux morts dans l’espace, ainsi qu’aux espaces religieux et mythiques de la Mort.

Trois axes de recherches, non exclusifs, ont été retenus :

1. Les espaces où la mort survient ou est déclarée

« mauvais » et « bons » espaces de mort
Alors que le dicton populaire affirme que « meurt toujours mal qui meurt avant l’heure », il peut paraître à certains « indécent de mourir au printemps quand on aime le lilas » (Le tango funèbre, Jacques Brel). Il y aurait donc un temps pour mourir. De même, tous les lieux ne se valent pas pour mourir. Il y aurait de mauvais lieux pour mourir : à l’hôpital, dans les maisons de retraite, sur la route, dans la rue, et d’autres à eux préférables. Mourir dans son lit peut apparaître comme la meilleur des morts tandis que les alpinistes morts en montagne et les marins morts en mer y trouvent la plus nobles des fins. Certains lieux sont même choisis, dans les cas de mort volontaire notamment, pour leur fonction tant symbolique que pratique, ou du fait de la législation particulière marquant ces espaces comme dans le cas de l’euthanasie.

l’encadrement des espaces de la mort
Les cadres législatifs définissent ainsi des lieux de mort institutionnalisés où la mort est possible voire dictée (hôpitaux, camp de la mort, couloirs de la mort).

Les motivations personnelles et les choix de société se prêtent alors à l’analyse, de même que les efforts des institutions pour assurer le passage de la vie à la mort en certains lieux et empêcher le passage à l’acte dans certains autres.

La mort cependant nous échappe le plus souvent. Certains espaces se distinguent en cela par leur plus fort taux de mortalité, soit qu’ils concentrent les lieux de prises en charges des malades, soit qu’ils sont affectés par des évènements potentiellement mortels que la société ne peut contenir.

2. Les morts dans l’espace : les espaces consacrés à l’accueil des corps morts

le traitement des corps
Si ne nous sommes pas, de notre vivant, tous égaux devant la mort, tous les morts n’ont pas la même valeur, ce qui se traduit spatialement. La possibilité ou au contraire l’interdit d’accès aux lieux d’inhumation, l’emplacement donné aux différents morts dans ceux-ci et l’empreinte matérielle des sépultures montrent que le statut des vivants détermine leurs relations, une fois morts, à l’espace. Les places consacrées aux « petits anges » dans les cimetières, les stèles offertes par certaines mairies aux indigents et les nécropoles des grands Hommes, qui vont de l’humble tertre au mausolée, en attestent. Au-delà de ces clivages peut apparaître une véritable ségrégation. La spécialisation confessionnelle des cimetières et celle des carrés à l’intérieur de ceux-ci dessinent une partition stricte des espaces de la mort, en fonction de la religion des vivants. La mise à l’écart touche aussi ces derniers, notamment ceux ayant en charge le traitement des corps morts ou le culte de leurs âmes. Comment donc se traduit spatialement le besoin des vivants d’offrir un culte à leurs morts ?

le traitement des espaces des morts
Les lieux destinés à accueillir les corps des défunts évoluent en réponse aux exigences des sociétés et aux changements dans les rapports des vivants à la mort et à leurs morts. Longtemps sanctuarisés, les cimetières ne sont pas toujours la dernière demeure, même les morts pouvant déménager. La spécialisation fonctionnelle de ces lieux, qui est loin d’être exclusive, ne les entacherait ainsi pas toujours et à jamais. Qu’en est-il des autres espaces consacrés à l’accueil des corps morts?

Les règlements qui encadrent ces espaces, leur aménagement, leur fréquentation sont d’autres possibles pistes d’analyse.

3. Les espaces de la Mort : les espaces de l’au-delà religieux et mythiques

Ces espaces produits par les Hommes, pour situer et se représenter leur devenir après la mort, diffèrent en fonction de leur statut et de leurs actes dans le monde des vivants : le Purgatoire avant le Paradis (du grec « jardin fermé », aussi désigné jardin des délices) ou l’Enfer, les Limbes, « frontières de l’enfer » pour les enfants morts sans le baptême, pour les Chrétiens.

Ces lieux pourront être considérés en fonction de leur statut (lieux de passage ou d’éternité, considérés comme réels ou métaphoriques), du contexte de leur apparition et parfois de leur disparition (l’Eglise catholique a officiellement renoncé aux Limbes en 2008), de la manière dont ils sont décrits dans les textes sacrés, représentés dans l’Art, voire cartographiés.

Les interactions entre ces espaces associés à la Mort et la société qui les produit et s’en imprègne nous intéresse de même que les effets sur les personnes, les sociétés et l’espace, de la croyance en l’existence de ces espaces.

Publié le mercredi 07 janvier 2009 par Delphine Cavallo
http://calenda.revues.org/nouvelle11782.html
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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