L'Encyclopédie sur la mort


La bonne mort au Québec du dix-neuvième siècle

Serge Gagnon

François-Hyacinthe Séguin, notaire de Terrebonne consigne, de 1831 à 1833, dans un carnet intime les événements mémorables survenus dans la paroisse. La mort y occupe une place privilégiée. La mort longuement préparée est considérée être une «bonne mort», c'est-à-dire une mort calme et sereine. La mort subite est à craindre, car elle n'a pas pu être suffisamment préparée. L'image de Dieu est celle d'un juge sévère, création de l'imaginaire du curé, du prédicateur ou de l'évêque qui exercent une autorité très ferme sur leurs ouailles, surtout sur les moins lettrées d'entre elles ainsi que sur les femmes qui semblent prendre le discours eschatologique de leurs chefs spirituels trop au sérieux et craindre l'enfer pour elles et leurs proches,
Sournoise, la mort subite lui inspire quelque crainte. Telle veuve, «dans un moment inattendu [...] est citée à comparaître devant le souverain juge pour y rendre compte de ses actions». «Quel sujet de réflexion!». Le notaire lui préfère la mort sereine de celle qui, marquée par des «chagrins domestiques» et des «douleurs constantes [...] supporta avec une résignation parfaite la volonté de son créateur». Sa souffrance morale lui mérita une mort calme; elle était «prête à rendre compte de son administration» au souverain juge. Dans l'ancienne société, la peur du jugement divin fait préférer la mort longue, longuement acceptée, consentie, à un trépas aussi bref qu'inattendu. «Étant malade depuis plusieurs mois elle vit approcher la mort avec calme et résignation.» [...]
La résignation est l'un des thèmes dominants du journal. Elle s'obtient au prix du détachement des biens de ce monde. [...] Le notaire Séguin rapporte la mort d'un avare qui vit venir ses fins dernières «avec une résignation mêlée d'espoir de guérison». La bonne mort se mérite. La méditation sur le trépas prépare à l'inévitable, éloigne les affolantes tentations du désespoir. Il est peut-être souhaitable que le commun des mortels «vive ainsi entre la crainte et l'espérance car je pense que de se livrer à l'abattement est non seulement chose vaine mais encore préjudiciable en ce qu'elle doit être une mauvaise préparation pour rencontrer l'attaque de la maladie». [...]
La vie terrestre «ne nous est donnée que comme moyen d'épreuve pour en obtenir une meilleure». Ces dernières réflexions sont consignées dans un contexte particulier. Le choléra fait rage dans la paroisse de Terrebonne. À la mort «prévisible» qu'il convient d'apprivoiser doucement s'oppose la peur de la mort subite, frayeur propre aux temps de contagion. On met du temps, au village, à reconnaître, à accepter la cause du décès de la première victime.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30