Quelques feuillets tirés de la correspondance des années 1915 à 1920

L’équipe de l’édition de la correspondance de Lionel Groulx nous a aimablement permis de reproduire quelques lettres de l’historien publiées dans le quatrième tome qui vient de paraître. Nous avons choisi trois correspondants distincts, pour un total de quatre documents manuscrits.

On trouvera donc une transcription de ces manuscrits, accompagnée d’un appareil critique qui les contextualise et en éclaire les obscurités.

Le premier élément (2 pièces) est un échange de correspondance entre Groulx et la petite-fille de Louis-Joseph Papineau, Augustine Bourassa, au sujet d’une conférence de l’historien sur les événements de 1837-38. Mme Bourassa souhaite communiquer à Groulx des faits sur son aïeul qui seraient de nature à tempérer la critique de l’historien.  « Je comprends parfaitement, veuillez le croire, la noblesse du sentiment qui vous a fait m’écrire votre lettre de l’autre jour », lui répond-il. « Vous défendez de vos mains filiales le souvenir de votre illustre grand-père et ce n’est pas moi qui vous en ferai reproche (…). » Il termine sa réponse par un souhait : « Je ne vous cacherai point que cette grande et énig­matique figure m’attire, et que j’ai formé le rêve – s’il n’est pas irréalisable – d’aller m’enfermer quelqu’un de ces jours dans son manoir et sa bibliothèque de Montebello, pour lui rendre meilleure justice. »

Le second élément est une lettre au père Edgar Colclough, s.j., en date du 18 avril 1920. Elle aborde le thème des coopératives agricoles, à partir du cas précis du Comptoir coopératif de Montréal. Voici ce qu’on en dit, en rapport avec le contenu de la lettre, dans une des notes : « C’est au cours de l’assemblée générale du 29 janvier 1920, très mouvementée, qu’Anatole Vanier et son équipe, représentant la tendance catholique-sociale, furent évincés par la tendance pragmatique, davantage axée sur la dimension commerciale. ‘’Le Comptoir coopératif de Montréal, qui voit le jour en 1913, est une centrale d’achats de biens d’utilité professionnelle qui regroupe des cercles agricoles, des coopératives et des individus. En plus, prenant comme modèle les coopératives belges, il se veut une école de formation‘’ (Claire Minguy Dechêne, avec la collaboration de Carole Montplaisir, Histoire du mouvement coopératif au Québec, Gouvernement du Québec, Ministère des Institutions financières et Coopératives, Direction des associations coopératives, 1981, 38 p. : 11). (…) Se déclarant catholique et français, il s’inspira du Boerenbond, la Ligue des paysans de Belgique, patrie par excellence des associations professionnelles catholiques. Le Boerenbond était, selon Saint-Pierre, « une fédération d’associations agricoles paroissiales, à base religieuse » (Arthur Saint-Pierre, Questions et Oeuvres sociales de chez nous : 59). On ne saurait exagérer l’influence du catholicisme social belge au Québec. » Dans le cas de cette lettre, les notes des éditeurs sont particulièrement éclairantes.

Enfin, troisième et dernier item, un lettre échangée avec Mgr Louis-Adolphe Pâquet, illustre clerc qui « a exercé un magistère de premier plan comme théologien et comme interprète autorisé des directives pontificales concernant le Canada français ». Groulx lui demande conseil : « Croyez-vous que je puisse écrire, en toute sûreté de doctrine, que nous de Québec, nous devons être plus préoccupés de notre survivance française que d’unité canadienne ? Non pas, certes, que je devienne indifférent à l’entente des races et à la coordination des efforts pour faire la grande patrie plus prospère et plus heureuse. Mais il me paraît que, depuis quelque temps, une catégorie de Canadiens français est en train, sous prétexte de bonne-entente, de saboter les plus sacrés de nos droits et de nos garanties. » Et il évoque ensuite certaines de ces tentatives de sabotage, dont les propositions de Philippe Roy, commissaire du Canada en France, l’une visant accorder les manuels d’histoire du Québec avec ceux de l’Ontario, l’autre à créer un collège canadien interprovincial à Paris.

Lettre d’Augustine Bourassa à Lionel Groulx 

595, Rue St-Denis, 25 décembre 19161


Monsieur l’Abbé Lionel Groulx 

Montréal


Monsieur l’Abbé, 

Il m’est resté de votre conférence du 8 Novembre2 le désir de vous commu­niquer quelques faits au sujet des événements dont vous nous avez entretenus.

J’ai craint que vous ne jugiez puérils des détails que vous connaissez peut-être du reste. On me dit que j’ai tort de céder à ce sentiment ; je me laisse donc persuader de vous écrire ces quelques mots. 

En regard de la lettre de Monseigneur Lartigue que vous avez citée ce 8 Novembre, vous intéresserait-il de savoir que le jour où la maison de Mr Papineau fut cernée et menacée d’un saccage, Monseigneur Lartigue, son cousin, lui envoya un message, presque un ordre lui enjoignant de quitter la ville pour « conserver une vie si nécessaire à son pays ».

Pendant son séjour aux États-Unis, Monsieur Papineau y fréquentait une bibliothèque publique. Le gouverneur en charge du Canada, ou celui qui le quittait alors pour retourner en Angleterre – (je n’ose me fier à ma mémoire sur ce point) – s’y rendit, par hasard, un jour que monsieur Papineau s’y trou­vait. Informé de ceci par le bibliothécaire, il exprima le désir d’une entrevue avec ce rebelle dangereux et honni, mais cette entrevue n’eut pas lieu.

Dois-je ajouter à ces détails, peut-être insignifiants, que le « prestige de l’homme » ne me semble pas avoir tenu uniquement à « cette éloquence un peu rude », à la sincérité de son patriotisme, à la correction de ses moeurs. 

Quelques traits ignorés ou passés sous silence justifieraient peut-être plus amplement une admiration que ni le temps ni le contact journalier n’ont pu amoindrir, chez ceux-là même qui ne partageaient ni ses vues ni ses croyances. 

C’est que l’homme dont la fin fut commentée en chaire, en présence de membres de la famille, comme une affirmation d’impiété, fut aussi celui qui fit don au village où il passa ses dernières années, des terrains de l’église et du couvent.

C’est qu’il fut aussi le vieillard très-digne qui, à quatre-vingts ans et plus, suivait, tête découverte, la procession de la Fête-Dieu dans ce même village3 ; celui qui sut s’agenouiller près d’une pauvre mourante, que sa présence édifia et encouragea pendant qu’on lui administrait les derniers sacrements.

Plusieurs rappellent encore une courtoisie telle qu’humbles et gens du monde en restaient également charmés, une noblesse de caractère et de manières qui s’imposèrent à tous. Ils n’oublient pas une générosité qui laissa dans la mémoire des pauvres de sa seigneurie et de ses obligés une impression ineffaçable. 

Quelques-uns conservent le souvenir plus intime et plus cher d’une Imitation de Jésus-Christ, restée souvent ouverte sur une table, près de son lit, et celui de larmes silencieuses versées en ses derniers moments devant un Ecce Homo, en face de ce même lit.

Ces lignes sont adressées à l’auteur très-estimé des « Rapaillages », à l’inter­prète délicat et attendri des sourires et des larmes d’aïeules. 

Elles sont un hommage de confiance et un appel aux réserves de douceur et de miséricorde qui savent faire fléchir les lignes rigides, et pourtant si fragiles, de l’infaillibilité historique. 

Elles sont inspirées par l’attachement fidèle « aux choses oubliées », par ce qui rayonne de l’auréole des grand’pères comme « du nimbe de blancheur des grand’mères4 ». 

Veuillez agréer, Monsieur l’Abbé, l’expression de sentiments très respectueux.

A. Bourassa

Notes

1. 7 p. sur 2 in-folio à bordure noire (17 x 11 cm). Autographe. P1/A,494. Groulx répond à cette lettre le 31 décembre 1916 (voir supra, lettre 1504).

2. Première leçon du cours public à l’université Laval de Montréal sur le Mouvement ou Soulèvement de 1837-1838.

3. Montebello.

4. Cf. « C’est la gloire des grand’mamans de porter le nimbe de la blancheur vénérable en attendant l’autre, le nimbe doré qui vient du Bon Dieu. » (Lionel Groulx, « En tricotant », dans Les Rapaillages, [1916] : 135).


Lettre no 1504

À Augustine Bourassa

+

Vaudreuil, 31 déc[embre] 19161


Mademoiselle A. Bourassa

Montréal

 

Mademoiselle,

Je comprends parfaitement, veuillez le croire, la noblesse du sentiment qui vous a fait m’écrire votre lettre de l’autre jour2. Vous défendez de vos mains filiales le souvenir de votre illustre grand-père et ce n’est pas moi qui vous en ferai reproche3. Vous savez à quelle hauteur je l’ai placé l’année dernière en racontant nos luttes constitutionnelles4. Soyez persuadée, Mademoiselle, que je ne le confonds nullement avec les meneurs et les chefs plus ou moins improvisés des échauffourées de 37-38. Dans ma dernière conférence, j’ai même pris la peine de faire observer à mon auditoire, qu’on ne voyait plus aucun des anciens chefs au commandement qui était passé, par la force de l’entraînement démagogique, aux hommes de deuxième et de troisième plan.

À parler net, je n’approuve point sans réserve le rôle de Monsieur Louis-Joseph Papineau à5 cette malheureuse époque. Et je devrai m’expliquer là-dessus, lorsque je ferai le partage des responsabilités6. Mais je ne veux point cependant qu’on me classe au nombre de ces publicistes qui ne voient en lui que l’homme de l’Institut Canadien7, que le libéral et l’incrédule impénitent et qui oublient tant d’années d’illustres services.

Je vous remercie des détails que vous me fournissez dont quelques-uns m’étaient inconnus. Si vous possédez la lettre entière de Mgr Lartigue8, je serais très heureux d’en avoir une copie9. C’est bien mon avis que toute l’his­toire de votre grand-père10 est à refaire, malgré le louable effort de M. De [C]elles11. Ce que vous me faites connaître de sa vie religieuse prouverait qu’il ne fut pas simplement un déiste12, ainsi qu’on l’a prétendu, mais qu’il avait gardé sa foi chrétienne. Je ne vous cacherai point que cette grande et énig­matique figure m’attire, et que j’ai formé le rêve – s’il n’est pas irréalisable – d’13aller m’enfermer quelqu’un de ces jours dans son manoir et sa bibliothèque de Montebello, pour lui rendre meilleure justice14.

Bien respectueusement 

Lionel Groulx, Prêtre 

Notes

1. 4 p. sur 1 in-folio (20 x 27 cm). Olographe. BAnQ, Fonds Famille Bourassa. Réponse à la lettre d’Augustine Bourassa du 25 décembre 1916, reproduite en annexe xi. 

2. En 1916-1917, les conférences de Groulx à l’université portent sur l’insurrection, soulè­vement ou mouvement de 1837-38 : 1. Les origines du conflit (8 novembre) ; 2. La prise d’armes (13 décembre) ; 3. La répression (17 janvier) ; 4. Le partage des responsabilités (9 mars) ; 5. Les conséquences du soulèvement (20 avril). « Un auditoire de quatre à huit cents personnes a constamment écouté le conférencier » (Annuaire de l’Université Laval de Montréal, vol. 16 (1917- 1918) : 195). Il fallait une certaine audace pour inscrire ce sujet au programme du cours public dans l’atmosphère surchauffée de la Grande Guerre. Tous les cycles de conférences de Groulx de la période 1915-1921 ont été publiés, sauf celui sur 1837-38. Un compte rendu de la conférence du 8 novembre a paru dans le Devoir ([S.A.], « Le mouvement de 1837 », Le Devoir, vol. 7, no 263 (9 novembre 1916), p. 2). Au printemps suivant, une revue montréalaise insérera un extrait de ce cours public : Lionel Groulx, « Soulèvement de 1837-1838. Les responsabilités de l’Angleterre », Revue canadienne, nouv. série, vol. 19, no 5 (mai 1917) : 321-335. L’historien y met en accusation l’impérialisme britannique, en dépit du contexte, excipant de la mission de l’histoire : « La politique et l’histoire sont heureusement deux choses, et la vérité n’est aux ordres de personne » (335). On peut consulter Pierre Trépanier et Stéphane Pigeon, « Lionel Groulx et les événements de 1837-1838 », Les Cahiers d’histoire du Québec au xxe siècle, no 8 (automne 1997) : 36-58, voir p. 40-41.

3. L’appréciation que fait Groulx de la personnalité et du rôle de Papineau doit se com­prendre sur la toile de fond de la thèse de la provocation britannique dont l’historien présente une variante : « Sans avoir voulu peut-être expressément pousser le peuple à la révolte, les auto­rités anglaises, celles du pays et celles de la métropole, accumulèrent si bien les maladresses, les sottises, les abus et les défis, que ces faits et gestes prirent à la fin le caractère d’une criminelle provocation. // Et c’est là, Mesdames, Messieurs, la preuve que je me propose de faire » (FLG, 502/P1). Ce n’est qu’après avoir tenté cette démonstration que le conférencier en vient aux « excès des patriotes ». Évoquant l’exaspération de la Chambre du Bas-Canada, « lasse d’être traitée comme un parlement-école par une oligarchie de fanatiques obtus », Groulx laisse entendre que Papineau n’est plus l’homme de l’heure, ce qui a piqué au vif la petite-fille du grand homme. « Il eut fallu un maître en stratégie parlementaire, capable, lui aussi, de conduire, à travers les mailles de la diplomatie anglaise, un coche attelé de six chevaux, pour dominer et débrouiller une pareille situation. En 1836, Louis-Joseph Papineau, le chef patriote, a tout juste cinquante ans. Il a été jusqu’à ce moment l’O’Connell du Canada français. Ce prestige de roi-populaire, il le doit à son talent et à d’incomparables états de services. Type lamartinien, quoiqu’un peu plus fort, d’une éloquence rude, à fanfare, d’emportements lyriques et d’indignation véhémente, il a tout le magnétisme des entraîneurs de foule. Le peuple accourt au pied des tribunes où appa­raît l’agitateur. Il acclame en lui l’un des plus beaux types de sa race, mais surtout le patriote incorruptible, la voix hautaine et vengeresse où vibrent depuis vingt ans toutes les colères du vaincu, l’appel à la revanche et à la fierté nationale. // Jusqu’à 1834 environ, Papineau a donc pu tenir, dans sa province et parmi les députés canadiens, le vrai rôle d’un dictateur. À partir de cette date commence pour le tribun l’une des crises les plus graves de sa vie. Ses vieux amis, les sages du parti, Neilson, Quesnel, Cuvillier s’éloignent de lui. Des jeunes gens viennent prendre leurs places, de tout jeunes hommes que sa parole a grisés, disciples enthousiastes, incapables du rôle de modérateurs. Ses amis des provinces anglaises l’abandonnent aussi peu à peu. Très habilement la diplomatie du Bureau colonial a travaillé à l’isolement de l’agitateur canadien. // La correspondance de Charles-Ovide Perreault [sic], son lieutenant et confident vers 1835, nous montre le chef patriote, las, dégoûté, profondément aigri. Et l’on se demande si, avec ce prestige diminué, cet homme qui incline aux moyens violents, peut être encore le guide des mauvais jours. » Plus loin, Groulx reprend : « L’assemblée de S[ain]t-Charles marque une date fatale dans cet automne 37, parce qu’elle consacre la démission pratique de Papineau comme chef, la fin de son emprise toute-puissante sur ses lieutenants et l’avènement des démagogues à la direction du mouvement. Papineau déconseilla ce jour-là le recours aux armes. » Profondément divisés, en proie à la surexcitation des esprits, les Canadiens français s’entredéchirent dans leurs jour­naux. L’un des plus violents est le Populaire : « Dès le 19 juillet 1837, Papineau, qu’il a pourtant commencé par ménager, est devenu “l’homme infernal”, “l’envoyé du démon”, “le tyran le plus insupportable”, le “monstre”. Dès cette même date, le Populaire tient Papineau responsable des récents désordres du lac des Deux-Montagnes, le déclare coupable de haute trahison et demande pratiquement son arrestation. » Des éléments du Doric Club ayant cassé des carreaux chez Papineau, celui-ci « prend alors le parti de quitter Montréal et part pour S[aint]t-Hyacinthe. On croit qu’il va organiser la prise d’armes. Sans plus attendre on le décrète de haute trahison, et l’on lance contre lui, contre O’Callaghan, Wolfred Nelson et Morin, des mandats d’amener. L’autorité commettra la dernière faute d’en appeler à la force militaire. Ce sera le signal de l’insurrection. // Vous avez là, Mesdames, Messieurs, l’enchaînement fatal des causes et des circonstances qui ont amené les échauffourées de 37-38. D’un côté, des provocations criminelles ; de l’autre, d’into­lérables excès de langage. À provocation, provocation et demie fut pendant trop longtemps le mot d’ordre de part et d’autre. Les orateurs-patriotes ont beau prétendre qu’ils ne dépassent point les bornes de la juste indignation, qu’on a parlé ainsi et même plus fort à Westminster, dans de semblables circonstances. Et sans doute que les paroles dépassent sensiblement les intentions. Ce qu’elles veulent, c’est menacer et intimider. Ceux qui les proféraient auraient dû songer tout de même qu’on ne parle point à une foule comme on parle à un parlement ; mais que les paroles et les gestes s’agrandissent et se déforment en se réfléchissant sur l’écran populaire. // Les autorités anglaises, de leur part, semblent n’avoir pas compris qu’en perpétuant ici, sous figure de gouvernement constitutionnel, un vrai régime d’absolutisme, elles faisaient du gou­vernement au Canada un parti politique, et du gouverneur, un chef de parti. Le jour où par ses négligences, ses bévues, ses défis, la Couronne même d’Angleterre eut ruiné son prestige aux yeux de la Chambre et du peuple, la Chambre et le peuple eurent perdu le respect et la notion de l’autorité. Ce fut parti politique contre parti politique. Et, comme le parti officielle [sic] se retranchait derrière la force militaire, dès lors, pour les patriotes, un soulèvement ne devenait plus que la forme extrême et violente de la lutte, presque un acte de légitime défense. »

Gardienne sourcilleuse de l’honneur familial, Augustine Bourassa était à l’affût de tout ce qui se disait et s’écrivait sur les Papineau, les Bourassa et les familles alliées. Dans sa lettre à Groulx du 25 décembre 1916, elle éclairait elle-même le sens de sa démarche (voir l’annexe x). : « Ces lignes sont adressées à l’auteur très estimé des « Rapaillages », à l’interprète délicat et attendri des sourires et des larmes d’aïeules. // Elles sont un hommage de confiance et un appel aux réserves de douceur et de miséricorde qui savent faire fléchir les lignes rigides, et pourtant si fragiles, de l’infaillibilité historique. // Elles sont inspirées par l’attachement fidèle “aux choses oubliées”, par ce qui rayonne de l’auréole des grand’pères comme du “nimbe de blancheur des grand’mères” ». Augustine Bourassa s’efforce de défendre la stature morale et politique de son aïeul et d’établir, à l’encontre de l’opinion reçue, le grand respect qu’il professait pour la religion et même pour le surnaturel chrétien.

Sur Augustine et sa soeur Adine, ainsi que sur la conférence que prononcera Groulx en 1924 sur « Les idées religieuses de Papineau », voir Mes mémoires, 2 : 74, 228, 252-256.

4. Effectivement, Groulx laisse entendre que Papineau est l’homme central des décennies 1820 et 1830 : « Ce fut alors la grande crise politique de 1827, la lutte personnelle de Dalhousie contre Papineau, avec, comme dénouement, la formation, au parlement anglais, d’un comité spécial pour s’enquérir des affaires du Canada » (Lionel Groulx, Nos luttes constitutionnelles, 1er décembre 1915, 2 : 13). Mais c’est davantage Pierre Bédard et Louis-Hippolyte La Fontaine qui sont exaltés. Groulx salue en Bédard « le véritable initiateur des nôtres à la vie politique » (Ibid., 19 janvier 1916, 3 :11). Le héros de la décennie 1840 est sans conteste La Fontaine, qui incarne « la politique de la conscience et de la dignité », mais aussi de la perspicacité, qui saisit toute l’importance du principe de la responsabilité ministérielle (Ibid., 19 janvier 1916, 3 : 22).

5. Substitué à : ,

6. Dans la conférence du 9 mars 1917, Groulx soulignera la responsabilité prépondérante de l’Angleterre et de l’oligarchie coloniale, ce qui lui permettra d’affirmer que la responsabilité des patriotes, « il faut la réduire aux plus minimes proportions ». Cela ne disculpe pas les chefs, et donc Papineau lui-même, de toute faute. À l’heure cruciale, fatidique, Papineau semble avoir perdu la touche, commet des erreurs tactiques désastreuses, tergiverse, quitte la légalité, se montre imprévoyant, cède à la démagogie et donne dans les pièges de ses ennemis. Après avoir renoncé à l’agitation légale, Papineau et les autres chefs patriotes n’arrivent pas à prendre un parti décisif. La non-préméditation des soulèvements témoigne contre eux : ils ont subi les événements auxquels ils avaient poussé sans se préparer aux conséquences. Les avertissements ne leur ont pourtant pas manqué. Mais ils n’étaient plus les maîtres de l’emprise exercé sur eux-mêmes et sur leurs partisans par les « idées démocratiques révolutionnaires » et l’enchaînement se refermait sur eux. Il vaut la peine de citer Groulx : « Oui, nous tenons là peut-être la vraie cause de l’entraînement des patriotes. Ils vont être les victimes des explosifs trop longtemps maniés par eux. La faute des chefs est de n’avoir pas su deviner cette poussée fatale des idées, et, quand il fallait agir énergiquement, de s’être arrêtés à une attitude d’indécision. Ils n’ont point su vouloir et ils n’ont point su ce qu’ils voulaient. Si Papineau, après l’assemblée des six-comtés, au lieu de se mettre à la remorque de ses lieutenants insurgés, se fût souvenu qu’il était chef pour commander, le tribun , qui en doute ? recouvrait alors assez de puissance pour empêcher la catastrophe. Mais n’ayant rien fait d’efficace ni pour l’empêcher ni pour s’y préparer, les patriotes ont dû un jour accepter le combat pour y être écrasés. Leur inaction devient incompréhensible et vraiment injustifiable quand ils ne pouvaient ignorer les vastes préparatifs commencés contre eux. » Il faut aussi reproduire ceci, qu’on n’entendait guère dans les milieux bien-pensants et qui passait pour une audace en pleine guerre et en pleine surchauffe nationaliste : « Si l’on tient compte des provocations et des menaces de l’oligarchie, de l’état d’ébullition perpétuelle main­tenue au pays ; si l’on pèse les circonstances fatales qui, au dernier moment, ont emporté les têtes, peut-être faut-il moins reprocher aux patriotes d’avoir fait l’insurrection que de l’avoir ainsi faite. Le verdict de l’historien atteint peut-être assez justement quelques meneurs et quelques chefs ; il ne rend pas justice aux sans-grades, aux braves paysans qui donnèrent leur vie pour une idée généreuse. Ceux-là sont des âmes franches, étrangères aux calculs des égoïstes et des faiseurs. Trompés ou non ils sont persuadés que, dans cette lutte, il y va de l’avenir même de la liberté et de leur race. Et en allant bravement à la mort, sans armes, sans munitions, sans chefs, pour une cause qu’ils savent perdue d’avance, ces paysans de chez nous atteignent presque à la grandeur des martyrs. – Il faudra chercher loyalement dans une dernière leçon ce que la liberté doit à leur sacrifice. – Mais de quelque façon que l’on juge ces événements, cette saute [sic] de sang français aura tout de même démontré, à ceux qui croient pouvoir spéculer indéfiniment sur notre miséricorde et notre servilisme, que les humiliations et l’arbitraire peuvent à la fin nous lasser » (FLG 502/9, fos 40-41).

7. Tribune de la jeunesse radicale.

8. Évêque de Montréal, descendant des Cherrier par sa mère et cousin de Papineau et de Denis-Benjamin Viger.

9. Voir note 3.

10. Écrit, comme Augustine Bourassa : grandpère

11. Écrit : Decelles – Les compatriotes de Papineau, « presque tous hommes de foi et très attachés aux idées et à la pratique de la religion, regrettèrent de ne pas voir auprès de son lit, au moment suprême, un représentant de la miséricorde divine. Mais passons sur ce moment de sa carrière sans appuyer davantage ; dans les affaires délicates, sacrées de la conscience, l’homme n’est comptable qu’à Dieu, qui le juge peut-être autrement que l’opinion. Papineau, philosophe spiritualiste, fut plutôt qu’un anticlérical, un adversaire de l’intervention du prêtre dans la politique. On le vit, à plusieurs reprises durant sa carrière, réclamer la liberté religieuse pour l’Église du Canada avec autant de zèle et d’ardeur que la liberté politique pour le pays. En 1837, l’autorité ecclésiastique ayant dû, à bon droit, mettre les Canadiens en garde contre les menées révolutionnaires de Papineau, il ressentit contre le clergé, à raison de cette intervention, une aigreur qui s’exaspéra avec le temps » (Alfred D. De Celles, Papineau, 1786-1871, Montréal, Beauchemin et Cadieux et Derome, 1905 : 194-195).

12. Rejetant la Révélation, le déiste pense que l’Être suprême est inconnaissable et n’intervient pas dans le cours de l’histoire. Dans sa version de la religion naturelle, le théiste considère que la raison humaine peut découvrir les attributs de Dieu.

13. Correction de : de

14. À l’occasion du cinquantenaire de la mort de Papineau, dans une étude signée « Lionel Groulx, ptre. Paris 6e, 9, rue Jean-Bart, 25 septembre 1921 », l’historien « atténuera de beaucoup la sévérité des anciens jugements » sur l’anticléricalisme du grand tribun, soulignant la consigne de ce dernier à son fils Amédée : « Le catholicisme est partie de notre nationalité qu’il faut avouer en toute occasion » (« Louis-Joseph Papineau. L’homme politique », L’Action française, vol. 6, no 4 (octobre 1921) : 606-607, reproduit avec quelques variantes dans Notre maître, le passé, 1re série, 1924 : 189-190). Le 15 avril 1925, au cours de la cinquième conférence du cours public de 1924-1925 (« Vers l’émancipation iv(Période 1815-1834) »), il rendra au chef patriote ce vibrant hommage : « […] c’est faire une oeuvre éminemment positive que d’être pendant un quart de siècle le chef de file et le soutien moral de sa race. Ne l’oublions pas : Louis-Joseph Papineau fut le premier dans notre histoire, qui ait pu atteindre à la dignité de chef, derrière qui se soit constituée chez nous l’u[na]nimité française. Papineau fut plus que personne celui qui inspira aux Canadiens français la volonté d’être libres et de n’avoir chez eux d’autres maîtres qu’eux-mêmes. Nul n’a plus combattu les souvenirs déprimants de la Conquête, ni n’a plus prêché l’égalité des races devant la liberté anglaise. Il y mettait même une sorte de fierté audacieuse, n’admettant point, par exemple, qu’en nous octroyant les institutions parlementaires de 1791, la Grande-Bretagne nous eût accordé une faveur plutôt qu’un droit. […] De cette fierté il fut le héraut magnifique et beau, quand l’élan des siens se fatiguait vite, quand l’état d’âme du vaincu courbait trop faci­lement les courages. Louis-Joseph Papineau a tenu effectivement dans notre histoire le rôle du grand homme, celui dont le regard intuitif devance les pensées de ses contemporains et dont la volonté fournit aux masses humaines une impulsion victorieuse » (FLG 16 25 : 69-70).

Le cours public de 1925-1926 est consacré aux événements de 1837-1838. Au printemps de 1926, l’Action française publiera une série de trois articles sur la répression canonique des Patriotes – qui s’ajoutait aux répressions politique, militaire et judiciaire –, dont la matière provient de la troisième conférence du cours public de 1925-1926, donnée le 21 janvier 1926 et intitulée la Répression : « Les “patriotes” de 1837 et les châtiments de l’Église », L’Action française, vol. 15, no 4 (avril 1926) : 217-231 ; no 5 (mai 1926) : 294-311 ; no 6 (juin 1926) : 347-354. La cinquième conférence du cycle 1925-1926 est consacrée à un « jugement sur l’insurrection », où se trouve ce passage sur le comportement de Papineau à Saint-Denis : « Papineau ne voulut jamais se mêler à la prise d’armes, de quelque façon que ce fût. Pour lui, il s’agissait tout au plus d’échapper à la justice. Il s’était déjà enfui de Montréal pour échapper à une arrestation ; il s’enfuit de S[ain[t-Denis pour le même motif. Il eût été, sans doute, plus héroïque de demeurer avec les paysans qui entendai[en]t lui faire un rempart de leurs poitrines et de leurs fusils. Papineau ne fit, en cela, que ce que firent à peu près tous les députés et tous les vrais chefs, tels que O’Callaghan, Girouard, Scott, qui disparaissent à l’heure de la bataille » (FLG 17 13 : 13vo). Malgré sa longueur, il est utile de citer la conclusion, où s’exprime avec une particulière limpidité l’esprit dans lequel l’histo­rien aborde 1837 : « Voilà donc ce que l’histoire peut invoquer, en faveur des patriotes, non pas pour les justifier pleinement, mais pour enseigner à les juger avec une indulgence plus grande ; non pas, non plus, pour absoudre les aventuriers qui, après avoir poussé de pauvres paysans à l’hécatombe, ne surent ni les commander, ni même rester avec eux à l’heure du danger ; mais pour plaindre et admirer même ces nobles paysans, qui allaient à la mort avec la conscience de défendre leur race et parfois même leur foi. // Où les chefs patriotes sont inexcusables et même à blâmer sans atténuation, c’est pour les doctrines subversives qu’ils ont tâché de répandre dans la province : les plus mauvaises idéologies démocratiques, théories fausses et malsaines sur la souveraineté du peuple, sur la constitution de la société humaine, sur les rapports du spirituel et du temporel, sur le rôle et les droits de l’Église, déchaînant même contre le clergé de leur race, une véritable vague d’anticléricalisme. // Les problèmes politiques comme aussi bien toute la vie d’une nation est [sic] dominée [sic] par une métaphysique. Et l’on ne touche pas impunément aux principes qui sont les fondements même de la vie et les premiers soutiens de l’ordre. Il est bien remarquable que, par une évidente disposition providentielle, tous les prédicants de fausses doctrines fussent chassés de la direction de la race. La tourmente les fit rentrer dans l’ombre ou l’exil les dispersa. Et parmi ceux-mêmes qui revinrent au pays, aucun ne put jamais tenir de rôle prépondérant dans la vie publique du Bas-Canada. Gardienne jalouse de notre jeune nationalité, à qui elle a réservé des destinées particulières, la Providence de Dieu entendait confier à d’autres, à des esprits plus sains, d’achever la conquête de la liberté et de nous montrer les routes de l’avenir » (FLG 17 13 : 32-34).

À la veille du centenaire de 1837, Groulx reviendra sur le sujet dans des conférences et des entrevues. Il accorde une entrevue à Arthur Laurendeau, qui est insérée dans l’Action nationale (vol. 7, no 6 (juin 1936) : 325-348) sous le titre « Une heure avec l’abbé Groulx à propos de “37” » et qui est reprise dans la 2e série de Notre maître, le passé, dont l’achevé d’imprimer est de décembre 1936. En publiant dans ce recueil trois autres études, « Les “Patriotes” de 1837 et le clergé », « Le “Papineau” de M. Rumilly » et « Les idées religieuses de Louis-Joseph Papineau », l’intellectuel s’assurait de dominer le débat du centenaire de 1837. L’entrevue surtout fit grande impression, au point que les Jeunesses patriotes, mouvement séparatiste, la choisirent pour inaugurer leur collection de tracts ([Lionel Groulx], L’Actualité : Une heure avec l’abbé Groulx à propos des Patriotes de ’37, Montréal, Éditions des Jeunesses patriotes, décembre 1937, 26 p. (Coll. « Tracts des Jeunesses patriotes », no 1).


Lettre no 1579

À Edgar Colclough 

Montréal, le 18 avril 1920


Au R. P. Edgar Colclough, s.j. 

L’Immaculée-Conception

Montréal

 

Mon Père,

Soyez assuré que je n’avais pas oublié la réponse que demandait votre lettre du 31 mars… mais je suis très pris. Ah ! si les pauvres diables qui tuent le temps dans les cinémas pouvaient vendre un peu du leur ! J’en achèterais. Et vous aussi, n’est-ce pas ? 

Selon toute apparence, l’oeuvre sociale du Comptoir a reçu son coup de mort2. Mais la Providence, qui n’a besoin ni de moi, ni des autres, pour déve­lopper et faire fleurir l’association professionnelle que nous avions fondée, semble avoir confié notre succession morale à un ancien adversaire, ou plutôt à un non-ami, qui s’était installé après nous et en marge de notre action sur le même terrain social. Je veux parler de M. l’abbé Allaire de Saint-Hyacinthe3

Si la chose réussit pleinement entre ses mains, je serai pour ma part entiè­rement satisfait. Car je ne tenais pas tant à diriger personnellement ce mou­vement qu’à lui voir conserver son caractère catholique et français4 dont ne se soucie guère – je pourrais même dire : dont ne se soucie point du tout – la nouvelle administration.

Et, chose bizarre, les divergences qui amenèrent les frictions, puis la rupture, ne portèrent pas sur l’orientation morale du mouvement, mais sur la direction matérielle, sur la ligne de conduite adoptée par le gérant de la société5

Pris vous-même par le désir de voir se perpétuer l’oeuvre morale du Comptoir, vous me demandez en post-scriptum si les parties intéressées ne pourraient pas avoir ensemble une franche explication. La bonne nouvelle que je vous apporte aujourd’hui concernant6 l’action de l’abbé Allaire – qui est de plus puissamment aidé de Monseigneur Allard7 dans sa réorganisa­tion – résout, n’est-ce pas, le point capital, et je dirai même, toute la question. 

Quant aux dispositions de la nouvelle administration – y compris le R. P. Lalande8, qui la dirige en père modérateur – elles sont nulles au point de vue social parce que neutres, et neutres d’une neutralité absolue, comme seuls les catholiques la comprennent et l’observent quand ils s’en mêlent9

Il n’y a donc plus rien à faire. Dans les circonstances il n’y a pas lieu de le regretter. 

Agréez, mon Père, avec l’assurance de mon meilleur souvenir, 

l’hommage de mes sentiments respectueux.

Lionel Groulx, ptre 

 

Notes

1. 4 p. sur 1 in-folio (21 x 28 cm). Olographe. ASJCF, BO-40-412.

2. C’est au cours de l’assemblée générale du 29 janvier 1920, très mouvementée, qu’Anatole Vanier et son équipe, représentant la tendance catholique-sociale, furent évincés par la ten­dance pragmatique, davantage axée sur la dimension commerciale. « Le Comptoir coopératif de Montréal, qui voit le jour en 1913, est une centrale d’achats de biens d’utilité professionnelle qui regroupe des cercles agricoles, des coopératives et des individus. En plus, prenant comme modèle les coopératives belges, il se veut une école de formation » (Claire Minguy Dechêne, avec la collaboration de Carole Montplaisir, Histoire du mouvement coopératif au Québec, Gouvernement du Québec, Ministère des Institutions financières et Coopératives, Direction des associations coopératives, 1981, 38 p. : 11). Du programme d’action du Comptoir, Arthur Saint- Pierre écrit : « Son but est de fédérer toutes les coopératives agricoles existant dans notre province et celles qu’il réussira à faire surgir, pour l’achat en commun de toutes les choses nécessaires sur la ferme, et la vente également en commun, de tous les produits de la terre. Par cette double série de transactions, le Comptoir se flatte de faire faire à ses adhérents de notables économies sur leurs achats et des bénéfices plus considérables sur leurs ventes. La suppression d’un certain nombre d’intermédiaires et de toute spéculation malhonnête, qu’il aura pour effet infaillible d’amener, justifie ses espérances » (Arthur Saint-Pierre, Questions et OEuvres sociales de chez nous, Montréal, École sociale populaire, 1914, 264 p. : 52). En 1922, le ministre de l’Agriculture, Joseph-Édouard Caron, fusionnera les trois centrales agricoles du Québec, dont le Comptoir, dans la Coopérative fédérée de Québec. Le Comptoir avait ambitionné d’être non seulement une coopérative, mais aussi une fédération de coopératives ainsi qu’une oeuvre de formation sociale à la solidarité coopérative et une association professionnelle. Ce dernier projet sera réalisé par l’Union catholique des cultivateurs, née en 1924. Indépendant du ministère de l’Agriculture, bien que sa première réunion fût présidée par le sous-ministre Georges-Auguste Gigault, le Comptoir fut lancé en janvier 1913 par le père Charles-Albert Bellemare, procureur des jésuites, et Anatole Vanier, de l’ACJC et de la Ligue des droits du français, qui en fut le premier président. Se déclarant catholique et français, il s’inspira du Boerenbond, la Ligue des paysans de Belgique, patrie par excellence des associations professionnelles catholiques. Le Boerenbond était, selon Saint-Pierre, « une fédération d’associations agricoles paroissiales, à base religieuse » (Arthur Saint-Pierre, Questions et OEuvres sociales de chez nous : 59). On ne saurait exagérer l’influence du catholicisme social belge au Québec. Le Comptoir connut un bel essor à la faveur de la guerre, au point de vue des adhésions et du chiffre d’affaires, fournissant engrais, semences, insecticides, ficelle d’engerbage, etc. Il se fit le maître d’oeuvre de la participation québécoise à la « marche sur Ottawa » de représentants d’agriculteurs de tout le pays pour défendre les intérêts agricoles contre les exigences de l’effort de guerre et de la conscription. Cette manifestation du 14 mai 1918 eut un retentissement considérable et eut le résultat inattendu de politiser une partie des agriculteurs québécois et de les rapprocher de leurs collègues des autres provinces : c’était l’époque des Fermiers-Unis dans l’Ouest et en Ontario.

3. L’abbé Jean-Baptiste-Arthur Allaire, missionnaire agricole du diocèse de Saint-Hyacinthe, fut le principal animateur du mouvement coopératif agricole dans les deux premières décennies du xxe siècle. Dès 1903, il fonda une coopérative agricole dans le comté de Shefford. À l’été de 1914, il fit un voyage en France, en Belgique et en Angleterre pour y étudier les coopératives agricoles. « À son retour, il fut nommé par le gouvernement de Québec missionnaire d’action sociale agricole pour toute la province civile, particulièrement avec mission de promouvoir l’établissement de coopératives agricoles » (J.-B.-A. Allaire, DBCCF, 6 : 12). En 1916, il organisa un congrès à Oka, d’où naquit la Confédération des sociétés coopératives agricoles, qui, en 1917, réunissait 64 coopératives. Il visait à coordonner l’action des centrales. Voir J.-B.-A. Allaire, Nos premiers pas en coopération agricole ou Rapport du premier congrès de la Confédération des sociétés coopératives agricoles du Québec, Saint-Hyacinthe, La Tribune, 1916, 58 p. Allaire insistait sur la doctrine coopérative, pour qui une coopérative est une association de personnes plutôt que de capitaux. Pour sa part, dès les années 1900, le fondateur des caisses populaires, Alphonse Desjardins, voyait dans la coopérative de crédit la première étape vers une organisa­tion coopérative d’ensemble (production, distribution, consommation, logement, assurance) et considérait la coopérative agricole comme indispensable à l’essor de l’agriculture et à la lutte contre l’exode rural et l’exil aux États-Unis.

4. Désaccord qui préfigure les débats qui, depuis le milieu des années 1930 jusqu’à la Révolution tranquille, avec un paroxysme en 1945-46, porteront, d’abord discrètement puis de façon ouverte, sur la distinction entre l’action catholique et l’action nationale ainsi que sur la confessionnalité ou la neutralité des oeuvres économiques et sociales. Les trois premiers articles des statuts du Comptoir coopératif sont sans équivoque : le Comptoir a saint Joseph pour patron (art. 1) ; « il a pour but général de travailler au progrès religieux, intellectuel, social et économique de ses membres en prenant à coeur leurs intérêts matériels » (art. 2) ; il s’emploiera « à développer parmi ses membres, et dans la classe agricole en général, le sentiment religieux et la pratique des vertus sociales et chrétiennes » (art. 3b). Voir Anatole Vanier, Le Comptoir coopératif, Montréal, Secrétariat de l’École sociale populaire, 1916, 35 p. : 32. Groulx n’a pas joué de rôle au Comptoir coopératif ; il semble simplement avoir soutenu de l’extérieur Anatole Vanier dans ses efforts pour maintenir le Comptoir dans l’esprit de l’Action française de Montréal, dont la doctrine traditionaliste – synthèse totalisante –, refuse toute séparation entre la fidélité catholique et rurale, l’affirmation nationale, l’épanouissement culturel et l’affranchissement économique.

5. Le bureau de direction renvoie le gérant Napoléon Labbé le 6 janvier 1920, qui toutefois restera en place par décision du nouveau bureau (Archives HEC Montréal, Fonds du Comptoir coopératif de Montréal. – 1912-1922, P061/A,0001 Procès-verbaux, 6 et 29 janvier, 11 mars 1920). Le père Joseph Lalande avait mis en garde Anatole Vanier contre ce congédiement car Labbé était en train de sortir le Comptoir du bourbier où l’avait enfoncé l’administration du gérant précédent (J. Lalande à A. Vanier, 8 janvier 1920, Fonds Anatole Vanier, P29/K,448). Le père Lalande n’en appréciait pas moins le dévouement de Vanier à l’oeuvre du Comptoir (J. Lalande à A. Vanier, 22 juin 1928, Ibid). Les turbulences que traverse le Comptoir sont dues d’abord à des difficultés financières, auxquelles la chute des prix agricoles après la guerre n’est pas étrangère, et au projet de fusion avec la Société coopérative agricole des fromagers, à laquelle ne s’oppose pas en principe le camp catholique-social, certaines conditions étant sauves.

6. Correction de : cons[…]

7. Joseph-Charles Allard, missionnaire agricole dans le diocèse de Valleyfield et curé de Sainte-Martine (comté de Châteauguay), qui fondera une école ménagère et une école d’agricul­ture. Groulx le connaît bien puisqu’il avait été directeur du séminaire de Valleyfield et vicaire général (voir CLG 2 : 685).

 

8. Le jésuite Joseph Lalande ou l’abbé Honoré Primeau n’en assistent pas moins aux réunions du bureau après la petite révolution contre les catholiques-sociaux, si on se range à l’interpréta­tion que faisait Vanier de ces événements. Le père Lalande, comme le père Bellemare avant lui, était procureur de la province canadienne des Jésuites, qui avait avancé des fonds au Comptoir.

9. Dans les années 1940, le père Georges-Henri Lévesque préférera l’expression moins com-promettante de non-confessionnalité.

 

Lettre no 1585

À Louis-Adolphe Pâquet 


Montréal, 1939, Saint-Dominique, 28 sept[embre] 19201

Monseigneur L.-A. Pâquet 

Québec

 

Cher Monseigneur,

Mes collègues de la Ligue des droits du français viennent d’ajouter à ma qualité de directeur de la ligue, la direction de l’Action française2. Plaignez-moi sincèrement et entendez bien que c’est, à ce seul titre, que je [me]3 permets de vous rappeler la promesse d’un article pour notre livraison de décembre4. Dans le temps, du reste, vous m’aviez prié de vous en faire souvenir et je m’acquitte, moi aussi, de ma promesse.

J’ose maintenant vous demander un avis sur un problème qui me donne à réfléchir depuis quelque temps5. Croyez-vous que je puisse écrire, en toute sûreté de doctrine6, que nous de Québec, nous devons être plus préoccupés de notre survivance française que d’unité canadienne ? Non pas, certes, que je devienne indifférent à l’entente des races et à la coordination des efforts pour faire la grande patrie plus prospère et plus heureuse. Mais il me paraît que, depuis quelque temps, une catégorie de Canadiens français7 est en train, sous prétexte de bonne-entente8, de saboter les plus sacrés de nos droits et de nos garanties. L’incident de l’Association du barreau9, l’intronisation de l’anglais dans la petite école primaire10, la proposition de M. Philippe Roy à Toronto de reviser nos manuels d’histoire pour les accorder avec ceux d’Ontario11, le projet du même M. Roy au sujet d’un collège canadien interprovincial à Paris12[,] voilà, à mon sens, autant de manoeuvres extrêmement dangereuses qui préparent notre déchéance française aussi sûrement que l’unité cana­dienne. Pourrions-nous alors soutenir que la fin première de toute fédéra­tion est d’obtenir la survivance des États13 fédérés, au moyen de l’union, que tout le reste n’est que fin secondaire ? Les provinces canadiennes, à ce qu’il me semble, n’ont pas abdiqué leur individualité en 186714. Pour notre part nous avons fait triompher le principe du provincialisme contre les tenants de l’union législative. C’est donc que nous étions soucieux de défendre avant tout notre personnalité nationale, que nous n’entendions pas la sacrifier au rêve d’un grand tout15.

Je vous serais bien obligé, cher Monseigneur, de me dire là-dessus votre opinion qui m’aiderait beaucoup à m’éclairer dans les prochaines batailles qu’il va falloir livrer. 

Vous serait-il également possible de savoir et de me dire, sans manquer à la discrétion, si les autorités universitaires de Québec sont favorables au projet du Collège16 Canadien de M.17 Philippe Roy à Paris ? Nous avons bien l’inten­tion de dénoncer ce projet. Mais il est bon auparavant de savoir où mettre les pieds. Ici à Montréal il y a déjà quelque temps que j’ai avisé de la chose M. le Chanoine Chartier18. Il m’a fait réponse qu’il devait aviser la prochaine réu­nion des évêques à ce19 sujet. Mais il nous paraît que l’on va moins vite d’un côté que de l’autre.

Pardonnez-moi, cher Monseigneur,20 toutes ces importunités.

Et croyez-moi bien votre sincèrement attaché en N.S. 

Lionel Groulx, ptre


Notes

1. 6 p. sur 1 in-folio (16 x 26 cm) et 1 f (16 x 13 cm), tous deux avec bordure noire (son frère Albert Groulx est décédé le 21 juin 1920). Olographe. ASQ, Fonds Louis-Adolphe Pâquet, boîte 14.

2. Tous les membres du comité directeur de la Ligue ont le titre de directeur. Depuis son lancement en janvier 1917, l’Action française avait pour directeur Omer Héroux, bien qu’il n’était pas identifié comme tel. Mais Groulx affirmera que depuis 1918 il était lui-même « officieuse­ment et à toutes fins pratiques » directeur de la revue (Mes mémoires, 2 : 375). En septembre 1920, les directeurs décident de joindre le titre à la fonction exercée par Groulx. Dans la livraison d’octobre 1920, on peut lire : « Avec le présent numéro, l’Action française porte, en première page de sa couverture, le nom de son directeur. // Depuis quatre ans, M. Omer Héroux a porté chez nous le fardeau de la direction, sans en porter le titre, sans la moindre rétribution, avec un dévouement que nos lecteurs soupçonnent à peine. // Les directeurs de la Ligue des droits du français ont cru ne pouvoir lui imposer plus longtemps un travail qui ne cessait de s’accroître. Ils ont pensé qu’un autre devait, à son tour, payer de sa personne. M. l’abbé Groulx a accepté » (La Rédaction, « À nos lecteurs », L’Action française, vol. 4, no 10 (octobre 1920) : 432-433, voir 432). Groulx assure que Héroux « se prête de bonne grâce à [lui] céder la place » (Mes mémoires, 2 : 26). Pour la dernière fois en septembre, Héroux a signé de son pseudonyme la chronique « La vie de l’Action française » et pour la première fois en octobre Groulx la faisait suivre du sien, Jacques Brassier, nom de l’un des seize compagnons de Dollard au Long-Sault (Jean Beauchemin [Omer Héroux], « La vie de l’Action française », L’Action française, vol. 4, no 9 (septembre 1920) : 428-430 ; Jacques Brassier, « La vie de l’Action française », L’Action française, vol. 4, no 10 (octobre 1920) : 475-477). Pour les vrais motifs de la relève à la direction de la revue, outre la besogne écrasante de Héroux au Devoir, voir la lettre 1575, n. 8.

3. Écrit : je permets

4. Voir lettre 1563.

5. Comme on le voit, l’enquête de 1922 sur « Notre avenir politique » était dès lors en gestation dans l’esprit de Groulx. L’idée de l’indépendance du foyer du Canada français, c’est-à-dire du Québec et de ses marches françaises, était présente chez Groulx depuis le collège de Valleyfield et même, pourrait-on ajouter, depuis la lecture, en 1896, du roman d’anticipation de Jules-Paul Tardivel, Pour la patrie. La question de la primauté des devoirs envers le Canada français et la province de Québec par rapport aux devoirs envers la Confédération canadienne incitera Groulx à consulter le dominicain Louis Lachance en 1941. Ce dernier avait publié quelques

années plus tôt Nationalisme et Religion, Ottawa, Collège dominicain, 1936, 195 p. L’exemplaire dédicacé par Lachance et annoté par Groulx se trouve encore dans la bibliothèque du CRLG. La hiérarchie des devoirs du patriote est aussi un des thèmes d’un autre ouvrage envoyé à Groulx avec une dédicace et annoté par ce dernier : Hermas Bastien, Conditions de notre destin national, Montréal, Albert Lévesque, 1935, 238 p. (Bibliothèque du CRLG).

6. À l’Action française, on voyait en Pâquet « notre théologien national » (Philippe Perrier, « Hommage à Mgr Chiasson », L’Action française, vol. 4, no 9 (septembre 1920) : 394-395).

7. Écrit : Canadiens-français

8. Mouvement de notables canadiens-anglais et canadiens-français visant la réconcilia­tion entre les provinces et entre les groupes nationaux, à la suite des divisions acrimonieuses engendrées par la Première Guerre mondiale, la Crise de la conscription et la Question scolaire franco-ontarienne. Les moyens utilisés étaient des campagnes de banquets, accompagnés de discours et suivis de brochures et d’articles de journaux. Il s’agissait de créer un esprit de bon vouloir et d’harmonie. Pour les nationalistes québécois, la Bonne-Entente était une menace car ils y voyaient surtout une tentation de démobilisation pour les patriotes et une machine de guerre au service du pancanadianisme et de la centralisation fédérale, c’est-à-dire, en dernière analyse, de l’unilinguisme anglais, de l’uniculturalisme anglo-saxon (dont les ambitions étaient flagrantes dans l’Ouest canadien) et de l’impérialisme britannique. L’année 1920 marque le cin­quantenaire de la résistance de Riel et de l’entrée du Manitoba dans la Confédération, occasion propice aux bilans sur le traitement des minorités franco-catholiques.

9. La Canadian Bar Association souhaitait uniformiser les codes (civil au Québec, de common law dans les autres provinces). Cette volonté de centralisation et d’uniformisation se retrouvait dans plusieurs domaines, y compris l’éducation et le syndicalisme, jetant une ombre de suspicion sur le mouvement de Bonne-Entente. Antonio Perrault et Fernand Roy, bâtonnier général du Québec, et même le nouveau premier ministre, Alexandre Taschereau, dénoncent le programme de l’Association canadienne du Barreau et affirment avec force l’attachement du Québec à son particularisme national, dont le code civil est une des expressions.

10. Débat très animé sur l’enseignement précoce de l’anglais dans les écoles primaires et sur la part, jugée excessive par les nationalistes, faite à la langue anglaise dans les académies et collèges commerciaux, le plus souvent dirigés par des congrégations de frères enseignants, en particulier les frères des Écoles chrétiennes. « Le débat, écrit Groulx, est des plus graves. À aucune époque de notre histoire, croyons-nous, si ce n’est peut-être en 1840, où encore l’on avait l’excuse du découragement, ne s’est manifesté un pareil glissement vers l’anglicisation. Le régime scolaire de nos anglomanes n’exerçait jusqu’ici ses ravages que dans nos centres urbains. Voici que l’on est en train d’étendre maintenant ce régime néfaste à toutes les écoles françaises indis­tinctement. La campagne québecquoise [sic] était restée jusqu’ici le dernier refuge de la vieille et saine langue française. Là aussi l’on se propose d’aller imposer aux petits Canadiens français, l’enseignement parallèle des deux langues, enseignement absurde, inutile, et déformateur » (Jacques Brassier [Lionel Groulx], « La vie de l’Action française. Le français à l’école primaire », L’Action française, vol. 4, no 11 (novembre 1920) : 526). Le 19 mai 1920, le Comité catholique du Conseil de l’instruction publique adopta, contre l’avis de tous les évêques, à l’exception de Mgr Charles Hugh Gauthier d’Ottawa, le projet des réformistes imposant l’enseignement de l’anglais dès la troisième année et l’autorisant dès la deuxième année dans les commissions scolaires qui le souhaiteraient. Le groupe de l’Action française présenta un mémoire contre le projet et pour la position de Mgr F.-X. Ross, alors principal de l’école normale de Rimouski, chargé de la réforme des programmes par le Comité et chef de file des opposants (Directeurs de l’Action française, « Requête des directeurs de l’Action française aux membres du Comité catholique de l’Instruction publique sur l’Enseignement du français », L’Action française, vol. 4, no 10 (octobre 1920) : 477-480). Voir aussi La Rédaction, « Mise au point », L’Action française, vol. 4, no 10 (octobre 1920) : 465-467. – On remarquera que l’enseignement précoce de l’anglais s’aggravait trop souvent – en s’attirant la réprobation du directeur de l’École des Hautes Études commerciales – d’une « méthode, hélas ! trop répandue dans notre province, qui consiste à enseigner dans la langue seconde (tant dans les écoles primaires que dans les collèges commerciaux) certains sujets comme les mathématiques, la comptabilité, la géographie, voire les sciences naturelles. C’est là, je le crois, une profonde erreur pédagogique ! (Henry Laureys, « Notre enseignement commercial et technique », L’Action française, vol. 6, no 3 (septembre 1921) : 514-545, voir 538.) Voir lettre 1573, n. 7.

11. Représentant du Canada en France, avec le titre de commissaire général, Roy faisait ainsi une proposition tout à fait dans l’esprit du mouvement de Bonne-Entente. Pour les nationalistes, la révision des manuels préparait le manuel unique, puissant facteur d’uniformisation culturelle et de « dénationalisation ». Groulx prendra le contrepied de la proposition de Roy : « On aura beau faire, croyons-nous, on ne pourra supprimer l’opposition des deux histoires, pas plus que l’on ne peut supprimer, depuis cent soixante ans, l’opposition des races. […] // Ajouterons-nous qu’au-dessus de toutes ces oppositions et de ces divergences, il faut placer cette autre diversité de notre histoire qui en plus d’une histoire française, est aussi l’histoire d’un peuple catholique. Nos historiens ne peuvent négliger cette auguste réalité qui domine toute notre vie, qui est l’âme même de notre passé, qui lui a fait sa couleur et sa beauté originale. […] // L’enseignement de l’histoire nationale dans les écoles ne peut être absolument désintéressé ni purement spéculatif. Il constitue l’un des éléments de la formation morale et civique. […] // Le mot le plus malséant du vocabulaire bonne-ententiste est bien assurément celui de “provincialisme”. Il semble entendu que le mot doive s’accompagner de l’inséparable épithète “étroit” et de quelques autres adjectifs de même senteur. […] // [Outre le provincialisme canadien-anglais, persécuteur du faible,] nous en connaissons un autre [le provincialisme canadien-français du Québec] qui n’a rien commis de ces immoralités politiques, qui, dans sa législation, a toujours respecté la lettre et l’esprit du pacte fédératif, provincialisme qui n’a rien entrepris contre les droits des autres ni contre la paix du pays, qui, pour ne pas troubler l’union, a même consenti des sacrifices injustifiables, provincialisme qui, par ses institutions, ses valeurs morales et sociales, est le meilleur soutien de la communauté canadienne, provincialisme enfin qui croit aux destinées du Canada, qui est le seul à rêver d’indépendance pour la patrie et qui, de toutes les forces de la raison et du senti­ment, entend s’opposer au Moloch impérialiste. // De quel côté se trouve donc l’étroitesse ? Et avons-nous tant besoin, devant les hommes des autres provinces, d’afficher ces allures contrites qui ressemblent, à s’y méprendre, aux génuflexions des vaincus ? // Veillons sur notre histoire et veillons sur nos attitudes. Une minorité n’a rien de son patrimoine à mettre sur le marché. » (Lionel Groulx, « Veillons sur notre histoire », L’Action française, vol. 4, no 11 (novembre 1920) : 515-520). – Groulx « croit aux destinées du Canada » dans la mesure où, franchement binational, ce dernier respecte tous les droits de la minorité canadienne-française ainsi que la souveraineté du Québec, son foyer national, dans ses domaines de compétence. C’est ce dont il doutera dans l’enquête de 1922 sur « notre avenir politique ».

12. L’Action française prendra officiellement position en novembre : « L’on veut prochaine­ment ouvrir à Paris une maison pour étudiants canadiens. L’Action française, c’est son droit et son devoir, s’en inquiète. L’idée, excellente, recevra une réalisation inacceptable. Le projet, récemment exposé, dévoile de dangereuses illusions. Son exécution réserve de regrettables résultats. // L’Action française veut voir s’achever dans les centres de haute culture la formation de notre élite intellectuelle. Paris mérite la première place dans nos préoccupations de ce genre. Nos jeunes hommes doivent en revenir l’esprit ouvert sans doute à tous les courants supérieurs de pensée, mais surtout pénétrés des vertus de l’âme française. On les envoie là-bas afin qu’ils vivent de la vraie vie catholique et française, non d’une atmosphère anglo-saxonne et protestante. De retour au pays ces dirigeants accompliront une oeuvre puissante et saine s’ils la rattachent aux traditions catholiques et françaises de notre race. Elles seules font de notre peuple au Canada le premier représentant de l’ordre. On ira à l’encontre de ce but, l’on écartera nos fils de leur mission si on les place, de passage à Paris, dans un milieu aux idées protestantes et saxonnes. // Nous voudrions pour notre part l’ouverture d’une maison où prévaudrait l’élément français, sous une direction stable comme celle que lui garantirait, par exemple, un institut religieux. // Refusons d’aider une institution qui, sous prétexte d’offrir à nos étudiants un gîte, les livrera à l’intérêt des amabilités anglaises et multipliera pour eux des contacts étrangers à la culture française. Ces voisinages sont trop fréquents ici pour qu’il faille en créer de semblables à Paris à l’usage de nos jeunes gens. // Que les Canadiens français, soucieux de notre avenir moral et intellectuel, ne se prêtent point à l’exécution d’un tel projet. » (L’Action française [Lionel Groulx et Antonio Perrault], « Mot d’ordre : Une maison canadienne à Paris », L’Action française, vol. 4, no 11 (novembre 1920) : 481).

13. Écrit : états

14. Ajout en interligne : en 1867

15. Dans sa lettre à Groulx du 29 septembre 1920, L.-A. Pâquet répondra : « Vous devinez sans doute ma pensée sur le grave sujet dont vous me parlez. Tout d’abord, il n’est nullement impossible de concilier l’union canadienne bien entendue avec notre survivance française, et je crois qu’il importe de le répéter souvent. Le grand moyen de maintenir cette union (je préfère union à unité), consiste précisément à rendre justice à tous les groupes fédérés. Les provinces ne sont pas faites pour l’État canadien, mais l’État pour les provinces. // Mais à part la raison de race, suffisante pour motiver la lutte, nous avons une autre raison, péremptoire celle-là : c’est qu’à notre conservation française est liée, non pas métaphysiquement, mais pratiquement, notre conservation catholique. Vous en êtes convaincu comme moi, et vous comprenez aussi bien que moi que cela nous autorise parfaitement à nous préoccuper beaucoup plus des intérêts franco-canadiens que des intérêts canadiens tout court. // Mais encore une fois appliquons-nous à faire comprendre aux gens d’autres races qu’en favorisant tout d’abord, nous Canadiens-français, le développement de notre propre race, nous prenons le moyen le plus efficace d’assurer l’avenir d’un Canada religieux, paisible et prospère. // Je vois comme vous, cher abbé ! dans ce projet de collège interprovincial que vous mentionnez un danger d’indifférentisme religieux et national. Impossible pour le moment, de vous en dire davantage. Il faudrait, pour réussir dans un mou­vement destiné à écarter tout péril, la collaboration des trois universités catholiques. Nous aurions dû prendre les devants et nous ne l’avons pas fait ! » Il s’agit des universités de Montréal et d’Ottawa ainsi que de l’université Laval.

16. Substitué à : Cana[…]

17. Substitué à : P[hilippe]

18. Émile Chartier, vice-recteur de l’Université de Montréal.

19. Substitué à : s[…]

20. Ajoute et rature : de 




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