Portrait de James Callihou ou portrait de l'artiste par lui-même

Léo-Pol Morin
«Curieux homme, ce James Callihou! Curieux artiste!» Curieux texte que celui-ci dans lequel Léo-Pol Morin critique l'art de James Callihou, qui n'est nul autre que lui-même. Plaidoyer émouvant en faveur d'un jeune artiste épris de modernité, attaché au folkore de son pays d'origine, mais formé à Vienne, fou de Ravel, de Bruckner et de Bartok. Morin fut sûrement le critique le plus empathique de James Callihou.
Si James Callihou est le dernier découvert de nos compositeurs, il n'est pourtant déjà plus un adolescent, ainsi qu'on le croit généralement. Mais faire un adolescent d'un homme né à la fin du XIXe siècle est une légère offense. C'en est une bien plus grave de ne pas vouloir qu'il soit canadien. D'origine indienne par son père, canadienne-française par sa mère, il aurait pu naître aux environs de Montréal. Le sort l'a fait naître près d'Edmonton et il vit maintenant à l'étranger. Il nous appartient donc par le sang et par l'esprit et fût-il devenu patagon qu'on devrait toujours le réclamer comme canadien. C'est d'ailleurs un devoir de courtoisie et on aurait mauvaise grâce à s'y refuser, notre famillle musicale ne pouvant que gagner à accueillir une personnalité aussi attachante que la sienne.

Curieux homme, ce James Callihou! Curieux artiste! Rien ne semblait, dans son jeune âge, le destiner à la composition. Une timidité, peut-être, à moins que ce ne soit de l'orgueil, un sens critique trop vif, en tout cas, l'a longtemps empêché de s'essayer à cet exercice périlleux d'écrire de la musique. On a fait de lui un pianiste comme il y en a tant, au talent personnel, certes, mais en possession d'un métier qu'on sent n'avoir jamais pu se plier aux exigences du grand répertoire. Sa formation musicale a été celle d'un pianiste, mais la composition l'a toujours secrètement attiré.

Fervent de l'art intellectuel, James Callihou est ennemi de ces musiques qui veulent exprimer avant toute chose des émotions poétiques, des sentiments coûte que coûte, fût-ce par les moyens les plus grossiers et les plus indigents. Son art veut être plus simple. Il lui suffit que la musique ne soit que «combinaisons de notes ou arrangements de sons», et il entend ainsi laisser à sa place la psychologie. En cela, il est bien de son temps, comme il l'est d'écrire une musique qui ne s'embarrasse pas de préparations longues et superflues. Toutes les idées — ou mélodies ou sujets — ne s'accommodent pas toujours de ces développements que nous avons cru trop longtemps être toute la musique, et si nous convenons qu'à des idées simples, il faut une écriture simple, à des idées neuves des formes nouvelles, etc., nous sommes prêts d'accepter cet art logique et réduit aux éléments essentiels, qui est celui de la plupart des musiciens d'aujourd'hui.

James Callihou doit nous intéresser autant par ses idées sur la musique que par ses oeuvres. Il nous intéresse particulièrement en ce qu'il demande à notre sol ses inspirations. Ce vagabond qui vit tantôt en Europe, tantôt en Amérique, se souvient du folklore de son pays, dont sont inspirées la plupart de ses œuvres. Et qu'on y prenne bien garde, il ne s'agit pas chez lui de chants harmonisés, dont on abuse si inconsciemment en notre pays. Il s'est essayé plutôt à la composition de chants identiques, par l'esprit, à ceux du folklore, et je ne saurais dire à quel point je l'admire d'accorder autant de valeur nutritive aux folklores indien et eskimo. Cette théorie m'est chère, qu'on doit chercher à constituer avec ces divers éléments le précieux amalgame qui exprimera mieux notre esprit que les ordinaires emprunts à l'Europe mélodique dont nous sommes coutumiers. James Callihou semble aussi la défendre et si c'est loin d'être un fait accompli dans celles,de ses œuvres que nous connaissons, rien n'indique qu'il n'y arrivera jamais. Ses Chants de Sacrifice, ses Eskimos non plus que ses Canadiennes ne le montrent, en effet, en possession de la précieuse alchimie souhaitée et son Aquarium, pour piano,
est encore trop étroitement attaché à la lettre du folklore.

Un esprit aussi lucide que le sien ne saurait confondre les genres et si c'est l'Indien qu'il veut exprimer, il ne le fera pas dans la langue de Versailles. Car aux confins de l'Alaska, on n'a jamais connu Lulli. Mais dans ses Canadiennes, on retrouve une atmosphère vaguement ravélienne, qui a le sourire de Poulenc, et qu'il ne messied pas d'y rencontrer. Quant à ses nombreux Eskimos, qu'ils soient pour chant ou pour piano, ils ont plutôt un accent hongrois auquel Bartok n'est pas étranger et, en des replis moins accusés, Strawinsky. Il n'y a là rien d'étonnant quand on sait que Strawinsky, Bartok et Ravel sont ses plus grandes admirations, et qu'il a fait à Vienne son éducation musicale. Heureuses influences. En tout cas, Weather Incantation, pour piano, est déjà une musique personnelle.

Ce jeune musicien cherche dans sa nature un rythme, une mélodie et une harmonie aux angles accusés d'où n'est pas exclue, à l'occasion, à travers une rudesse apitoyée, une tendresse charmante. Musique riche de substance, qui se passe de développements thématiques, qui se borne à faire chanter les thèmes et à les prolonger. Musique trop courte, et à facettes, peut-être, musique peu modulante et qui n'échappe que par miracle à la monotonie. Mais peu nous importe que tout cela paraisse être un travail de marqueterie. Nous savons tout ce qui manque à cet art et que James Callihou n'a pas encore maîtrisé certaine technique. Ne nous suffit-il pas que cette musique soit vivante, spontanée, élégante et toujours simple? Il ne conviendrait d'ailleurs pas à l'auteur de s'astreindre à la rhétorique ordinaire et quelles que soient la faiblesse ou la trop grande facilité de ses formes actuelles, elles se suffisent et elles supportent allègrement l'exquise matière musicale dont elles sont revêtues.

Mais son lyrisme est sans efficacité et sans force. Il n'a pas de rayonnement et il a, en tout cas, moins d'originalité que ses trouvailles de rythme et de timbres. À ce point de vue, ses pièces pour piano fourmillent d'idées ingénieuses qui s'accordent fort bien de n'être pas lyriques. Cette musique sait cependant être d'accent poignant et je n'en veux pour preuve que les Chants de Sacrifice, et cette Berçeuse pour un mort pour chant et piano qui, en deux pages, atteint au tragique parla seule vertu du rythme et d'harmonies coruscantes appropriées.

L'art de James Calilihou fait un peu penser à celui de Poulenc en ce que, comme Poulenc, il est plus sensible au pittoresque des accords, des mélodies, aux combinaisons de rythmes qu'aux mystères du développement. Il n'est pas encore capable de logique constructive, et son art, il ne faut pas trop le démonter, ni trop le comprendre. Il faut avant tout l'entendre et on ne saurait jamais, pour cela, prêter une oreille trop subtile.

Art intellectuel, c'est entendu, et le type même de l'art inutile. Mais art à coup sûr. Art pur en ce qu'il est dégagé naturellement de préoccupations morales, poétiques et psychologiques. Cet art, dirai-je encore une fois, veut jouer avec le son, et jouer franc jeu. Cette conception n'est pas aussi limitée qu'on le croit, puisque tout une partie de l'œuvre de Bach y correspond pleinement (le Bach des Allegros) , puisque les plus grands musiciens d'aujourd'hui y sacrifient. Cette musique claire veut être plaisante, enjouée. Elle ne veut, surtout, jamais être profonde. N'allons pas lui reprocher son objectif et n'allons pas, non plus, reprocher au jeune musicien de n'avoir pas encore créé de chef-d'œuvre. Donnons-lui-en le temps. Mais, en attendant, ne négligeons pas la leçon de cet art, car il sert à point nos aspirations nationales en ce qu'il recherche une langue musicale appropriée à notre sol, à nos chants et danses du terroir.

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